La Cité Impériale-Le Tranchant du Poignard

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Le Tranchant du Poignard

Makiedo ne quitta l'enceinte du palais qu'à la nuit tombée. il n'y avait plus personne aux abords des jardins que quelques gardes faciles à contourner, mendiants audacieux venus dans les hauts quartiers et autres fêtards tardifs.

Shankari approchait. Avec les vents plus chauds et le crépuscule toujours plus retardé, il venait le moment de fêter la Grande Paix. Nul ne savait à quand remontait cette tradition, ni même à quoi il rimait. Peut-être étais-ce le vestige d'anciennes religions depuis longtemps oubliées.

Toujours que nulles autres festivités n'étaient plus attendues par la populace. Les seigneurs rassemblaient victuailles et boissons pour chacun de leurs sujets et, l'espace d'une nuit, les mendiants et les prostituées se comportaient en empereurs et princesses.

Avant de regagner la froide réalité, le ventre plein et le cerveau imbibé d'alcool. Depuis des temps immémoriaux, ça suffisait à maintenir le statut quo entre une noblesse illégitime et une populace laissée pour compte. Une fois dans l'année, l'on conjurait toute velléité. Makiedo n'aimait point la Shankari... Mais peut-être que celle-ci serait différente. Peut-être.

L'espionne sourit.

Les fanions pendaient aux fenêtres au-dessus de l'avenue impériale. Là, la populace nocturne s'affairait entre tavernes et bordels. Au moins, il était plus simple de se dissimuler au milieu d'une foule agitée.

Puis une ruelle glissée entre deux hôtels. Elle vit aussitôt les cinq silhouettes l'entourer. Il était déjà trop tard.

En une seconde, un homme voilé de noir bondit sur elle. Puis les autres.

De sa robe, elle tira une dague et para un premier coup, hélas, ce fut une grêle d'acier qui la submergea. Elle ne pouvait mourir avant d'avoir relayé les informations qu'elle avait acquises ! Elle para, esquiva, roula, fila dans l'ombre, joua des poings et des jambes.

En vain. Ils l'assaillaient encore et encore. Une lame lui perça le ventre, une autre la cuisse. Le sang engloutit ses tuniques tandis qu'elle perdait en force contre ses agresseurs. L'acier s'abbatait encore, dans le noir le plus opaque. C'est à peine si elle discernait ses assassins, juste le reflet mortel de l'acier.

Puis l'un d'entre eux fut projeté dans les tréfonds de la rue. Un autre encore, et bientôt, elle fut libre, quoi qu'ensanglantée et en piteux état.

A qui devait-elle pareil miracle ? Elle palpa le pavé glacial, tout autour d'elle. Faible, elle se sentait faiblir, il fallait partir avant...

Ils auraient déjà dû revenir !

Elle essaya de se relever, en vain. Privée de sang, sa tête lui tournait et sa vue s'embrumait. C'était la fin.

Elle retomba contre le pavé humide de sang, les muscles tremblants. C'est alors qu'elle le vit. Une silhouette immaculée au milieu d'une nuit sans fond.

Lefko.

—Grands esprits, murmura ce-dernier.

Il la tira contre son épaule. Makiedo sentit la vie s'écouler hors d'elle, pantelante. Le monde tout entier tournoyait, tournicotait, tourbillonnait jusqu'à ne plus être discernable.

Elle déglutit sur le pavé.

—Tient bon, l'encouragea Lefko. Restes avec moi... Je vais t'amener en sécurité.

Il la porta sur quelques mètres.

—Thiokai, marmonna Makiedo, sans savoir si elle gardait pied avec la réalité. Elle manipule Hoku...

—On le sais, répliqua Lefko. Maintenant, tais-toi, je ne peux te transporter par magie dans cet état...

—Non... Elle manipule aussi Huji... Et... Et elle est avec... avec le sorcier !

Cette fois, Lefko se figea aussi net.

L'instant suivant, un tourbillon de lumière enveloppa ses mains. Il déposa délicatement l'espionne contre le pavé.

—Alors il faut faire vite !

—Préviens Mei...

Il ne répondit rien. La lumière devint apaisante entre ses doigts. Makiedo la sentit couler entre ses chairs, remplacer le sang qui lui manquait et colmater ses plaies. Elle grimaça, non pas que le sortilège soit douloureux, ni même pour sa répugnance à l'égard des sorcelleries — elle n'en était plus à cela — mais quelle étrange sensation que de sentir cette énergie gagner les plus grandes profondeurs de ses entrailles.

L'opération dura longuement, puis Lefko chancela, épuisé. Elle se sentait déjà bien mieux, même si ses muscles ne la porteraient pas très loin.

—Ce n'est que temporaire, prévint le sorcier. Il te faudra te reposer.

Makiedo secoua la tête.

—Comment es-tu arrivé à temps ? Le chant... ?

Lefko opina ;

—La première des deux visions.

Makiedo hocha la tête, son éternelle et insatiable curiosité à laquelle elle ne savait résister ;

—La première ? Quelle était la seconde ?

Le jeune sorcier secoua la tête ;

—La ville brûlait.

Fleur de PrunierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant