Braises et Cendres-Le Sorcier

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Le Sorcier

Le village était en pleine effervescence. Une caravane remontait la route des montagnes, et partaient en direction de la ville marchande de Weiso, plus à l'est. Mais à cause d'une roue brisée, le cortège s'était arrêté à Henswei. L'escorte, d'une cinquantaine d'hommes en armes, entourait les chariots et intimait à quiconque de ne pas s'approcher de trop près.

Evidement intriguée, la populace s'était agglutinée tout autour pour capter quelque nouvelle venue de l'ouest. Malgré la douleur encore vivace dans tout son côté droit, Meidosha n'avait pu résister à la curiosité.

Grâce à sa petite taille, elle se fraya sans trop de difficulté un chemin au travers du torrent humain. Elle parvint même à se glisser au travers de la vigilance des caravaniers. Ces derniers étaient par ailleurs plus occupés à écarter les hordes de gamins curieux, de l'autre côté de la place. Une telle dépense pour une escorte était en soit quelque chose de rare et ça l'intriguait d'autant plus que cela ne pouvait que cacher de grandes richesses. Etais-ce des perles venues de l'est ? de la soie de Kaisho ? ou bien des épices ? Des coquillages peut-être ? Meidosha mourrait d'envie de répondre à ces questions qui se abondaient à son esprit. Accroupie dans la poussière, ignorée de la foule pressée, elle observa plus attentivement les convois.

Au nombre de cinq, les caravanes ne brillaient pas d'un luxe ostentatoire, bien au contraire, la peinture écaillée et les planches venues renforcées les cloisons produisait un aspect misérable. Des lampes dodelinaient à chaque angle de toiture. Seule une caravane, en queue du cortège, se démarquait des autres, renforcée d'une carapace d'acier, juste entrouverte d'une étroite meurtrière finement grillagée. Elle ressemblait à une grosse tortue de métal noir.

Soudain, une main lui couvrit la bouche. C'était Liu ! Furibonde, elle se retourna pour toiser son agresseur.

— Idiot ! Tu voulais nous faire repérer ?

— Peut-être, rétorqua Liu, le sourire aux lèvres, mais ça n'aurais pas été si cher payé. Regarde là !

Il désigna un homme de large carrure, enveloppé d'une large cape cramoisie, tout près de la caravane blindée. Sa tête était plongée à l'ombre d'un large couvre-chef en bambou, un cône légèrement arrondi duquel pendait une douzaine de pendentifs, parchemins et bijoux gravés, dont la surface polie reluisait au soleil de midi. Il somnolait appuyé sur une longue canne de bambou au bout de laquelle était pendu un récipient de métal dont un mince filet de fumée s'échappait.

— Un garde-l'aube... ! hoqueta la jeune fille.

— Et ça ne peut signifier qu'une seule chose ! sourit son compagnon.

Un sorcier. Tous deux se dévisagèrent, un sourire espiègle aux lèvres. L'aventure les rappelait, bien trop longtemps après leur dernière escapade.

Ils fendirent la foule à contre-courants, jusqu'à s'approcher au plus près de la fameuse carriole. Meidosha plissa les yeux. Au travers de l'ouverture, elle pouvait distinguer un visage blafard. Les yeux caves et noirs, et le visage osseux. Il était effrayant. Le pire était cependant l'aura effroyable qu'il dégageait.

Alors que la jeune fille tentait, fascinée, de mieux discerner ses traits, le sorcier lui adressa un regard. Meidosha gémit, soudain transpercée d'une force étrange et glaciale, elle fit quelques pas en arrière. Son sang glacé, son cœur gelé, quelque chose de sombre, d'horrifique, circula en elle.

Conscient du malaise de son amie, Liu la tira en arrière et plongea ses yeux dans les siens.

— Tout va bien ?

Meidosha secoua la tête, désorientée.

— Oui... Oui, ça va, ça va.

— Un sorcier, hein. Mon père raconte qu'il ne faut pas croiser leur regard. En fait, je crois qu'il ne faut pas croiser leur chemin, tout simplement. Va ! Il est bon pour Enkarr !

La jeune fille hocha la tête. C'était la première fois qu'elle voyait un sorcier de ses propres yeux. La région avait au moins le bonheur d'en être épargné. Certains voyageurs parlaient d'enfants, quittant leur foyer pour apprendre dans le plus grand secret les arts interdits. C'était une véritable malédiction, ils devenaient le plus souvent déments, consumés de leur propre pouvoir. Meidosha frissonna en songeant que cet homme était probablement l'un d'eux.

Derrière elle, un homme du village projeta un immondice nauséabond en direction des barreaux. D'autres l'imitèrent, mais, à peine les déchets heurtaient le métal, une déflagration les rejetaient en arrière, simples amoncellements de cendres fumantes.

— Viens, l'intima Liu. Ne restons pas là.

La jeune fille acquiesça sans le vouloir. Tout dans ce personnage l'attirait inexorablement. Terrifiée, elle se laissa tirer en arrière.

— Il y a tant de monde ici, poursuivit le garçon, personne ne pourra nous voir si nous partons vers les hauteurs.

Il désigna le sommet rocheux dominant le village, couvert d'épais feuillages. Il avait raison, pourtant, Meidosha se sentit soulevée d'angoisse. Une armée de corbeaux fendaient le ciel éclatant. une odeur de je ne sais quoi monta à ses narines. Bien qu'elle ne parvienne à l'identifier, remuait en elle le souvenir de l'entrepôt.

Fleur de PrunierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant