L'Archère des Brumes-L'Assassin

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L'Assassin

L'aube devait s'être levée depuis longtemps lorsqu'ils débouchèrent enfin sur le marécage. Le brouillard bleuté luisait légèrement à la surface de l'eau, mais le peu de lumière filtrant jusqu'à eux évoquait davantage une nuit étoilée que le plein jour. Leurs bottes s'enfonçaient profondément dans la bourbe et chaque pas se faisait plus pénible que le dernier. En plus de cela, la fatigue commençait réellement à affecter le moral des soldats. Les pas se faisaient plus traînants, bercés par les clapotis réguliers.

Plusieurs fois, elle sursauta, entendant l'eau bruisser autour d'elle, ou distinguant tout près une indiscernable silhouette. Le brouillard ne faisait que s'épaissir, et il devenait difficile de distinguer quoi que ce soit à plus d'un pas.

Selon les Kocho-Hosho, le fragment ne devait plus être loin. Lefko semblait de plus en plus absorbé par ce qui se passait autour de lui, soucieux. En fait, tout le monde était tendu, épuisés, il n'en était plus un qui ne regrettait le calme du campement. Même les soldats les plus vaillants peinaient à garder leur sang-froid. Tous se demandaient qui seraient les prochains à succomber dans les ténèbres.

Soudain, un claquement, suivit d'un bruit de cuir transpercé. Meidosha regarda tout autour d'elle, prise de surprise. L'un des hommes gisait, à demis enfoncé dans la boue vaseuse du marais, le long empan d'une flèche plantée dans le torse. Un ruban orangé était enroulé à son extrémité.

— On est att...

Le pauvre soldat s'effondra, une flèche figée en pleine poitrine. Là encore, un bandeau orangé flotta dans le vent, tel un drapeau pendu au fut du projectile. Tous se figèrent, tentant de discerner là d'où venait l'assassin. Il n'y avait pas une silhouette, pas un souffle. Un soldat, pris de courage, fit un pas en avant, l'instant suivant, un éclair orangé traversa le voile de brume, le soldat s'effondra, touché en plein cœur. L'archer se servait du bruit pour attaquer. Makiedo lança un regard entendu vers Meidosha, puis chaque homme se regarda. Pas un bruit.

Puis soudain, sans prévenir, Makiedo plongea à plat ventre dans la mare boueuse. L'instant suivant, une flèche fila dans l'air, juste au-dessus d'elle. A son tour, Meidosha se laissa glisser dans l'eau glaciale. Une nouvelle flèche trancha la brume au-dessus de sa tête.

Makiedo la regarda avec insistance, désignant du menton les autres hommes. Puis elle leva la main, trois doigts levés. Elle en rabattit un, puis un autre, puis le dernier. Aussitôt, tout le monde s'élança, hurlant. Meidosha, à couvert, entendit les flèches filer. L'assassin ne parvenait plus à distinguer l'emplacement des hommes dans le brouhaha.

Soudain, l'acier fut échangé. D'autres hommes étaient arrivés. Un combat s'engagea. Meidosha, n'entendant plus aucune flèche siffler, se releva et fila vers les autres hommes. Une troupe de guerriers tamakjiks venaient de surgir. Plusieurs gisaient au sol, une flèche fichée en pleine poitrine. Meidosha repéra la silhouette sombre d'un grand arbre, surgissant de la mare. Ses racines enchevêtrées formaient un monticule à son pied.

Levant les yeux au ciel, elle entrevit une silhouette accroupie dans les feuillages, un arc long en main. Le brouhaha fut tel que la jeune fille parvint à se hisser sur les hautes branches sans éveiller l'attention de l'archère. Au dernier moment, celle-ci tourna vers elle un visage angélique, serti de deux splendides yeux bleus.

Avant que l'archère ne puisse réagir, Meidosha la projeta au sol. L'assassin s'écrasa dans la boue, et lâcha son arc et ses flèches. Dans le brouillard, les bruits de bataille s'estompaient peu à peu, les guerriers de Huji prenant la fuite.

Meidosha se laissa retomber aussi souplement que possible. Elle s'agenouilla au chevet de l'assassin. Elle respirait encore, haletante.

— Emparez-vous d'elle, déclara simplement Makiedo, désignant la silhouette blonde gisant à même le sol.

L'arc fut également récupéré. Une belle arme extraordinairement souple, agrémentée de plumes colorées et de rubans de soie fine. On compta ensuite les morts et les blessés. Il restait au total cinq soldats en état de continuer. Trois étaient gravement blessés, Makiedo, Meidosha et Lefko ne portaient quant à eux aucune séquelle. Ils n'avaient pas participé à la bataille.

— Je vais les ramener à votre camp, annonça Lefko, désignant les trois soldats gravement blessés et la prisonnière. S'il y avait les guerriers de Huji, c'est que vous n'êtes plus très loin. Je compte sur le chant si vous rencontrez d'autres menaces.

Avant qu'il n'ait laissé à qui que ce soit le temps de répondre, il frappa dans ses mains et les cinq silhouettes disparurent dans un tourbillon de fumée noire.

— Il a raison, acquiesça Makiedo. On pourra profiter du brouillard pour s'approcher au plus près.

Meidosha soupira, si seulement Lefko n'était pas parti si vite. Il aurait encore pu s'avérer utile. Toutefois, la relique était à présent toute proche, et sans les blessés, ils gagnaient un temps précieux.

Cette fois, Lefko se matérialisa correctement au milieu du camp. Sous le regard surpris des soldats en faction, il se releva. Hanghun était livide, comme nombre de ses hommes, il était en sale état. Un cratère brûlant était apparu à l'emplacement du foyer. Des blessés avaient été ramenés derrière les tentes.

— Une nouvelle attaque ? demanda Lefko en époussetant sa tunique.

— On... On peut dire ça, prononça Hanghun avec difficulté. Deux garde-l'aube... Ils s'en sont pris à nos gars, ils voulaient savoir où elle était.

Lefko, soucieux, le fixa ;

— Qu'avez-vous répondu ?

— Rien, répondit Hanghun. On a fait semblant de ne pas savoir ce qu'ils voulaient dire mais... (Il désigna le cratère encore ardent.) Le plus grand s'est énervé et a fait ça...

— Tash, marmonna Lefko. Au moins ils ne savent rien.

— Pas si sûr, intervint un autre. Le second, un maigrichon, avait l'air satisfait à la fin... Je pense qu'il a... Fouillé dans nos pensées, c'est possible ?

L'apprenti garde-l'aube hocha la tête ;

— J'ai peur que ce soit ma faute. Il y a une terrible méprise en jeu... Et j'ai peur que la jeune Meidosha ne puisse rien faire contre ça.

Il étudia les corps blessés.

— Occupez-vous d'eux, je vais essayer de faire quelque chose, c'est ma faute après tout. Ils ne doivent pas être partis loin. Ce fut un plaisir de vous avoir connu.

Il disparut dans un flash, laissant un Hanghun déconcerté. Pourvu que la jeune dame s'en sorte, pria-t-il de tout son cœur. Déjà, le chant s'endiabla.    

Fleur de PrunierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant