Le Château Ambulant

Sophie : Chapitre 15

– C'est fantastique ! m'époumonai-je. Calcifer, CALCIFER ! C'est toi qui fait avancer le château ?!

– Évidemment que c'est moi ! Qui veux-tu que ce soit ? 
cria-t-il depuis le rez-de-chaussée.

Je me précipitai aussi vite que me le permettaient mes rhumatismes.

– Calcifer, tu es formidable ! m'exclamai-je, sincère. Tu remontes dans mon estime, tes pouvoirs magiques sont exceptionnels !

J'entendis le petit démon se féliciter, aux anges : "Formidaaaable !" répétait-il sans cesse. Sur ce, je sentis le château tout entier doubler sa cadence. Bien sûr que je pensais ce que j'avais dit, les capacités magiques d'un aussi petit être, aussi démoniaque soit-il,  dépassaient l'entendement ! Je n'avais jamais cotoyé de près la magie,  je prenais alors réellement conscience de sa puissance. J'avais toujours plus ou moins été au courant de son existence, il y avait des magiciens qui rôdaient dans les montagnes, mais être ici, au cœur du château ambulant de Hauru, Jenkins, ou Pendragon... C'était être propulsé au centre de quelque chose qui me dépassait totalement. Et malgré toutes ces choses qui m'étaient arrivées ces derniers jours, je me trouvais moins malheureuse que j'aurais pu l'être.

Marco me supplia de lui accorder encore quelques instants pour finir d'organiser ses petites affaires. Le ménage de sa chambre me sortait de la tête, obnubilée que j'étais par le château. Ce n'était pas une ruine, c'était fantastique ! C'était comme s'il m'avait ôté cinquante ans des épaules. J'étais légère !                                                                                                                                                       À l'étage, une porte en bois pourri, peinte d'un vieux vert sombre, attira mon attention. Une bourrasque monumentale s'engouffra à l'intérieur lorsque je l'ouvris, balayant des restes de tracts apportés par le vent. "Voyons un peu...".                                                                                                      C'était une minuscule terrasse dont les balustrades de métal formaient le dernier rempart avant le vide vertigineux. Je me tus. C'était incroyable, je n'avais jamais contemplé l'autre côté de la vallée de toute ma vie... Il y avait un lac immense qui s'échouait au pieds des montagnes blanches, comme une mer de nuage progressant au-dessus de lui, doucement, des forêts de sapins, des animaux sauvages... Je me cramponnai à la barrière, mon vieux cœur battant la chamade. C'était autre chose que la vue du train depuis l'atelier... Marco arriva et escalada le métal pour mieux voir.

– C'est magnifique... chuchotai-je, intimidée.

Face à la vue, je me surpris à penser que finalement, tout n'était peut-être pas perdu.

– Hein qu'il est beau, le lac aux étoiles ? dit Marco en souriant.

C'était un des plus beaux sourires que j'avais vu jusque-là.

Soudain, il poussa un petit cri de surprise.

– Qu'est-ce que c'est ? Regarde, mamie, il y a quelque chose de coincé là-dedans !

– Aide-moi à le tirer de là ! 

Marco s'arc-boutant tandis que je tirai sur le bâton, pris entre deux tôles, de toutes mes forces, nous parvînmes à l'extraire. Je suffocai.

– Un épouvantail ! s'exclama Marco.

– Oui, je le connais, dis-je sereinement, je l'ai surnommé Navet.

Puis je m'adressai directement à lui :

– C'est comme ça que tu fais peur aux oiseaux, toi ? Avec la tête en bas ? 

Navet bondit de la plateforme jusqu'au sommet du château avec une aisance déconcertante. Marco le suivait des yeux, subjugué. L'épouvantail se plaça sur une cheminée en sautilla avec contentement. Il semblait extrêmement satisfait de lui-même, pour un épouvantail.

– Ce curieux personnage a un faible pour moi, lâchai-je, interdite. Il me suit partout où je vais. 

D'ailleurs, il était assez surprenant qu'il m'ait suivie jusqu'ici.Marco leva les yeux vers moi.

– T'es sûre que t'es pas un peu sorcière, mamie ? dit-il.

– Qu'est-ce que tu crois ? Je suis la sorcière la plus maniaque de tout le pays !

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