5. La Cascade

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C'est à l'endroit où l'eau est la plus profonde qu'elle est le plus calme.

William Shakespeare, Le Songe d'une nuit d'été


L'alouette chante. Messagère de l'aurore, elle détonne ainsi, lançant ces notes rauques et ces strettes déplaisantes. De ses longs accords dont elle prolonge si doucement le son, elle me sort de mon sommeil. Les premiers rayons éclairent mon visage. Je me lève en position assise et constate que je ne porte pour unique vêtement une large chemise de Matt. Je me redresse, enfile un sous-vêtement et descends au salon. Matt est sur le canapé, en train de lire un vieux journal. Je m'approche à côté de lui, il tourne la tête de sa lecture et me sourit tendrement.

- Alors comme ça on était très fatiguée ?

- Il faut croire que oui !

Il glousse légèrement et me laisse un peu plus de place. Il semble réfléchir.

- Tu sais, je pars dans à peine quelques semaines. Trois, oui, trois semaines et je serai parti.

- Non.

Il tourne la tête dans ma direction, un regard interrogateur planté dans ses iris.

- Comment ça "non" ? J'ai été choisi, je ne peux pas refuser. Ce n'est pas un choix !

- Je suis au courant. Mais non, tu ne partiras pas. Pas sans moi. "On" partira ensemble, les deux, on combattra côte à côte, comme on s'est toujours entraînés depuis notre plus jeune âge.

- Mais tu ne peux pas et tu le sais très bien. Tu es une femme. Tu as beau être une meilleure guerrière que la plupart des hommes de cette ville, mais tu restes de sexe féminin pour le Conseil. Ils ne savent pas ce qu'ils ratent ; les compétences et les tactiques qu'ils gaspillent dans le ménage et la cuisine. Ils sont peut-être nos historiens, nos érudits, et donc les plus instruits de toute notre culture, mais ils sont aveuglés pas d'anciens rejugés vieux comme l'Antiquité !

-Tu ne te rappelles pas ce que l'on disait étant enfants ? On passait notre temps à regarder nos géniteurs se combattre, en essayant de refaire les mêmes gestes, sans franc succès je dois dire ! On parlait de devenir ce que nous sommes aujourd'hui. On parlait d'aventures, de combats, de missions, de créatures et de liberté. Nous avions la tête pleine de rêves, d'histoires de cape et d'épée, nous rêvions éveillés de la vie que nous voulions mener, ensemble, toujours, sans se quitter une seconde. Tu te souviens ? "Où tu iras, je te suivrais". Tu as choisi de me soutenir pour le reste de ma vie, comme je l'ai également fait pour toi, "boreíte na epiléxete gia na me ypostiríxoun katá to ypóloipo tis zoís mou" tu ne t'en rappelles déjà plus ? Tes mots étaient-ils vides ? Sans réelle sens à tes yeux ? Si oui, alors je ne te connais plus, tu peux partir maintenant.

-Bien-sûr que non, je n'ai rien oublié, et j'ai pensé tous les mots que je t'ai dit depuis ma naissance. Tu es la personne la plus importante de, jamais je ne te quitterai, je ne veux jamais te perdre de vue.

- Alors ne m'empêche pas de t'accompagner. On se bat ensemble.

- Mais comment tu feras ? Une femme, cela se remarque.

- Je vais trouver une solution, ne t'en fais pas pour ça.

- On en avait déjà parlé, et se "déguiser" réellement en homme ne sera pas simple.

- Je sais. Et le soir de cette discussion tu avais accepté.

- Donc je suppose que je n'ai plus vraiment le choix.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant