49. Froide chaleur d'une bougie

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Son cœur est vide et sonore comme une cloche dont sa langue serait le marteau.

William Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien


La nuit me suit, camouflant ma trace et dissimulant mon corps. Mes pas s'enchaînent dans une danse habituelle, prêtant attention à chaque brindille que j'écrase. En une fraction de seconde, mon regard repère où passer et comment disposer mes pieds. La brise estivale caresse mes cheveux et disperse un long bruit sinistre. Je m'approche, je le sens. Mon cœur ne s'emballe pas lorsque j'aperçois un guerrier. Je m'accroupis. Aucune sueur ne coule le long de ma colonne vertébrale. Je suis calme. Dangereusement calme. J'ai laissé de côté toutes ces émotions. Douleur, tristesse, déception, amour, colère, colère, haine. Ou plutôt, elles se sont trop agitées, ont fini par m'épuiser et maintenant je me sens vidée. Elles ont fusionné afin de donner naissance à une froide détermination. Je sais ce que je viens faire ici. Je ne repartirai pas sans. Peu importe si cela se passe mal et si j'y laisse quelques égratignures. Ils ont trop longtemps joué avec nous – avec moi – et c'est maintenant à mon tour de les bousculer un peu. Quand l'on ne nous donne pas ce que nous désirons, nous allons le chercher par nous-même.

Je ne m'attaque pas à ce guerrier. Son tour de garde m'est égale. Je ne suis pas là pour faire encore couler du sang. Sauf si j'y suis contrainte. Je contourne cet homme d'assez loin pour qu'il ne suspecte rien. Je sais maintenant que le général n'installe jamais sa tente au beau milieu du campement. Et, même s'il le faisait, ils ne sont pas assez nombreux pour que je prenne trop de risque en la rejoignant. Il préfère être au calme. Je contourne donc le campement à la recherche d'une sombre toile tendue. Je ne mets pas longtemps à la repérer à la faible lueur de la lune perçant à travers les feuillages. Je m'avance, pas à pas. Il y a deux guerriers. Je vais devoir déjouer leur attention. Avant de tenter quoi que ce soit, je reste plantée ici quelques temps. Je veux m'assurer que Artenthus n'est pas dans la tente du général en train de discuter. Je ne sais pas qui se tient sous cette toile. Le fait que le général ne soit pas dans sa tente lorsque j'y pénètre n'est pas réellement un problème. Je lui ferai une petite surprise. Je souris en pensant à cette possibilité. Alors, j'attends. J'attends que le nuit s'installe profondément. J'attends que l'activité se calme. J'attends que la majorité des guerriers sombrent dans un sommeil récupérateur.

Je vois les secondes, les minutes, presque les heures défiler. Le campement est calme. En tendant l'oreille, je pourrai entendre un guerrier se retourner dans son sommeil, cherchant la position la plus agréable dans les bras de Morphée. Un des deux guerriers face à moi s'est allongé au sol il y a de ça près d'une heure. Son acolyte est assis à même le sol, somnolant de temps à autre. Je le comprends, c'était une journée éprouvante. Rester éveillé par une nuit si paisible peut parfois sembler insurmontable. Toutefois, je dois y aller avant que son tour de garde ne se termine et qu'il ne réveille son co-équipier. Lentement, je ne suis pas à quelques minutes près, je me décale sur ma droite de sorte à me trouver dans son angle mort. Je ne vois plus son visage de là où je suis. Il était posté à plusieurs mètres du dos de la tente. Je jette un coup d'œil de l'autre côté. Face à cette dernière, une bonne vingtaine de guerriers sont endormis. Je ne vois qu'un deuxième garde, dos à moi à l'autre bout du campement. Une touffe de cheveux poivre et sel dépasse d'un gros sac. Artenthus. Il n'est pas très loin, à moitié surélevé sur un tas de fourniture. Je ne saurai dire s'il dort ou réfléchit. Je préfère imaginer la deuxième option afin de me préparer au pire.

L'entrée de la tente est à seulement cinq mètres. Cinq mètres où je ne dois réveiller personne. Cinq mètres où je ne dois pas attirer l'œil des gardes. Je ne ressens pas le besoin de prendre une grande bouffée d'air, je n'ai pas besoin de courage, je sais quoi faire. Mes idées un peu floues il y a de ça quelques heures s'éclaircissent. Je ralentis ma respiration déjà calme. C'est le moment.

Les muscles détendus, comme si tout était parfaitement normal, je m'avance de quelques pas. Je suis à découvert mais je ne panique pas. Lorsque nous agissons normalement, personne ne remarque jamais rien. C'est lorsque nous doutons que les regards se tournent. Un mètre. Deux mètres. Trois. Je suis trop loin pour m'arrêter ou pour rebrousser chemin. Je refoule l'envie de courir pour rejoindre plus rapidement cette grande tente. Tout est normal, tout va bien. Quatre mètres. Puis. Je pose ma main sur la toile noire. Un froissement de tissu. Je respire lentement. J'écarte le pan et pénètre.

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