Chapitre 11 - Un Repère dans les Ténèbres

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J'ai mal. Mal au cœur, mal aux jambes. Je ne sais pas depuis combien de temps nous courons. La peur et l'angoisse me font perdre toute notion du temps. Tout ce que je sais, c'est que mon corps n'en peut plus. L'adrénaline ne fait plus effet. Mes pas se font plus courts, plus lourds. Je peine à recouvrir mon souffle. Mais je ne peux pas m'arrêter. Il est hors de question que je ralentisse.

Chrome est là bas, quelque part dans les bois, à se battre contre une meute de bêtes sauvages. Je ne sais pas s'il s'en sortira. Mais il affronte ce danger, seul, pour nous permettre de sauver nos vies. Il est inimaginable pour moi de rendre son sacrifice vain en faisant ma douillette. Son sacrifice. Ce mot m'arrache quelques larmes.

Des images pessimistes s'imposent à mes yeux et je tente de les chasser tant bien que mal. Et si Chrome n'a pas pu retenir l'attention de tous les molosses ? Si certains d'entre eux ont pu éviter l'affrontement pour nous poursuivre, Nevra et moi ?

Ce n'est vraiment pas le moment de faiblir.

Le soleil ne s'est pas encore levé mais je sens la faune s'éveiller d'un paisible sommeil, tout autour de moi. Je n'entends pourtant rien, mon sang bat trop fort à mes tempes. Seul le rythme de mes battements de cœur me parvient.

Je ne saurais l'expliquer, mais je ressens les présences qui se meuvent dans les ombres. Je sens les insectes grouiller dans le tapis de mousse sous mes pieds. Les arbres pousser, leur écorce s'étirer vers le ciel, quand j'y appose ma main pour m'empêcher de tomber. Je ressens la faim grandissante des animaux après leur bâillement. Leurs regards, tous rivés sur moi, qui représente sûrement un repas de choix.

A cause de tous ces évènements qui me sont arrivés depuis un certain temps, je suis devenue complètement paranoïaque. Je maudis ma curiosité. Quelle idée franchement stupide de sauter à pieds joins dans un cercle de champignons. J'ai quel âge ? Cinq Ans ? J'en ai quatre fois plus mais j'ai l'impression que certains de mes instincts et réflexes s'en fichent royalement. La crainte de courir dans un monde que je ne connais pas, peuplé de créatures plus terrifiantes les unes que les autres me serre le cœur. Je réalise alors que j'enserre toujours plus fort ma prise sur Nevra. Il court devant moi et me tient fermement la main pour m'entrainer dans sa course. S'il ne m'avait pas soutenu de cette façon depuis notre départ de la clairière, je ne sais pas si j'aurais été capable de courir si longtemps et de manière si constante.

Je focalise mon regard sur son dos pour m'empêcher d'avoir des pensées noires. Reste concentrée, Waïtikka. Jambe droite, jambe gauche ; fort, vite, fort, vite.

Je lutte pour ignorer le feu qui me consume les cuisses, et le vent qui me lacère la gorge. L'air frais de la nuit suffit à peine à étouffer les bouffées de chaleur qui remonte de ma poitrine.

C'est alors que je distingue, à quelques dizaines de mètres de nous, une luminosité accrue entre les arbres. Nous arrivons enfin à la fin de cette forêt ? J'ai un regain d'énergie en me disant que les bêtes sauvages des sous-bois seront plus réticentes à nous donner la chasse en zone découverte. Et au pire, on les verrait arriver de loin : Nevra leur fera leur fête !

Nous arrivons à l'orée des bois en quelques secondes de longues enjambées. Je comprends que je traverse un ruisseau quand mes pieds rencontrent la surface de l'eau glacée. Je n'ai pas le temps d'admirer la palette de bleus et de roses qui se diluent sur la toile du ciel que Nevra m'entraine à nouveau dans la noirceur des bois.

Ainsi donc, ce répit n'aura été que de courte de durée. Le soleil se lève, mais les menaces de la nuit me paraissent pourtant encore bien présente. Et je n'en ai pas fini avec l'épaisseur de cette forêt sans fin.

[Eldarya] Le Secret des MoraïWhere stories live. Discover now