Chapitre 8 - La Filature

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Je traverse le QG à vive allure, ne prêtant aucune attention aux rares personnes que je croise. La chaleur de cette fin d'après-midi est étouffante. Nous sommes au printemps et pourtant j'ai bien l'impression d'être en plein mois d'août, avec ces températures abominables avant les orages et les moussons de l'automne. Aujourd'hui est vraiment pire que les jours précédents. Je ne me suis pas rendue compte de la montée fulgurante du thermomètre depuis ma petite chambre à l'abri des murs épais et frais de la forteresse.

Quel bonheur de sentir les rayons cuisants du soleil sur ma peau. J'en frissonne. Si je n'étais pas aussi pressée, je me laisserai sûrement tenter à aller lézarder, là, dans l'herbe de l'Allée des Arches. Mais je n'ai pas que ça à faire. Aussi, je ne ralenti même pas ma course en envisageant la Grande Porte.

Une chance pour moi, Jamon n'est pas à son poste. J'imagine que lui aussi a d'autres Jipinkus à fouetter. Tant mieux, ça m'évite de perdre du temps en prétextes bidons pour sortir du QG. Je me faufile donc, ni vue, ni connue, dans les grandes plaines.

Alors que je me lance à la poursuite des deux Ombres, je suis prise d'un irrépressible sentiment d'hésitation. Un peu comme si j'avais la certitude d'être sur le point de faire une grosse bêtise. J'abandonne ma mission au Refuge, je déserte mes devoirs. Est-ce qu'Ezarel va m'en vouloir quand il se rendra compte que je lui ai fait faux-bond ? Et les autres ! Ils vont fulminer quand ils s'apercevront de mon absence. Quelle chance que Miiko ne soit pas en mesure de me pourchasser ! Oh bon sang, je m'écœure moi-même à être soulagée du malheur de la kitsune. Est-ce que ça fait de moi une mauvaise personne ? Je suis ignoble ! Je mérite de vivre un enfer pour m'être réjouie du malheur d'autrui !

Sans ralentir la cadence de mes jambes, je secoue la tête pour chasser ces mauvaises pensées de mon esprit. Plus tôt, j'ai repéré la direction dans laquelle se dirigent Chrome et Nevra, mais je ne les ai pas encore en vue. Je n'ai donc pas le temps d'avoir des états d'âme et de me poser des questions sur le bien fondé de ma pseudo-fugue. Parce qu'il n'y en a aucun, c'est évident ! Je pars sur une impulsion tout ce qu'il y a de plus égoïste. Un geste irréfléchi mais irréversible à la vue de l'éloignement de la seule personne capable de me maintenir à flot. De toute façon, il est trop tard pour faire demi-tour, même si j'en avais le cœur.

D'une part, je serais obligée d'expliquer ma sortie tardive du QG, et également la raison pour laquelle je suis restée enfermée toute la journée. Parce que je suis certaine qu'avec ma chance, je me ferai intercepter sur mon retour. L'aller avait été trop facile, la bonne fortune ne pouvait pas être de mon coté deux fois de suite. D'ailleurs, que mon karma m'aie permit de passer les portes sans encombre devait être un signe !

D'autre part, je ne peux me résigner à encaisser de nouveau les assauts bruyants que j'ai subit la nuit dernière. Nevra a su me sortir de ma torpeur. Je suis terrifiée à l'idée que ça se reproduise. Et je veux pouvoir compter sur mon Chef de Garde si le cas se présente.

Les hautes herbes de la plaine me fouettent les jambes nues dans ma course et m'arrivent à la taille. Le bon coté, c'est que je suis naturellement à moitié dissimulée. Je suis déjà hors d'haleine à cause de mon allure effrénée, quand j'aperçois les garçons au loin.

Aussitôt, je ralenti et recouvre mon souffle en me calant sur leur rythme de marche. Ils ne sont plus qu'à une centaine de mètres de l'orée de la forêt, je me dépêche de m'approcher d'eux pour ne pas les perdre dans les arbres, mais je garde une distance respectable pour ne pas me faire repérer. Les deux garçons semblent entretenir une discussion plutôt animée. Du moins, Chrome parle tout en gestuelle. Nevra, s'il lui répond, est inaudible depuis ma position. Je ne perçois que les éclats de voix du jeune loup, d'où je suis.

[Eldarya] Le Secret des MoraïWhere stories live. Discover now