Chapitre 50

9 0 0
                                    

Shéhérazade frappe dans ses mains et une des femmes du palais apparait.

« Amène-moi la petite Sarah. »

Istanbul, printemps 2020, une femme dans un palais turc est vêtue de voiles de soie bleue et donne des ordres comme une sultane d'un temps ancien. Elle regarde par la fenêtre comme le faisait autrefois sa grand-mère Claire, décédée l'an dernier à soixante-sept ans d'une crise cardiaque, comme l'ont fait toute les sultanes avant elle. Son fils est en bas, il vient d'avoir sept ans, il lui ressemble beaucoup. C'est toute sa vie.

« Madame, voici la petite Sarah. »

Elle se retourne vers l'enfant, l'enfant qu'elle a fait enlever pour épouser son fils plus tard, elle a repris la tradition d'autrefois. Elle fait signe à la servante de partir et se penche vers la petite fille.

« Bonjour Sarah. »

« Je veux mon papa et ma maman » crie l'enfant qui ne sait pas que d'autres petites filles ont déjà prononcé ses mots.

« Sarah, j'ai une histoire à te raconter. »

L'enfant s'assied et regarde avec inquiétude la femme en face d'elle. Shéhérazade lui raconte la tradition du palais d'Istanbul et l'enfant écoute attentivement mais sans comprendre, comme tous les enfants qui sont passés ici. Shéhérazade croit en ce qu'elle dit, elle croit comme croyait son ancêtre qui portait son prénom mais l'enfant en face d'elle l'interrompt.

« Ça ne m'intéresse pas ton histoire, je veux mon papa et ma maman. »

En souriant Shéhérazade s'écrie.

« Tu ressembles à ma cousine Mylène quand tu parles comme cela. »

« C'est qui Mylène ? »

« C'est ma cousine, elle est grande maintenant mais elle réagissait comme toi autrefois. »

« Qu'est-ce qu'elle est devenue ? »

« Elle sera bientôt juge. »

« Moi je veux juste mon papa et ma maman, je ne le connais pas ton fils. »

« Tu le connaitras. »

« Quand ? »

« Plus tard. »

« Je ne veux pas plus tard, je veux rentrer chez moi. »

« Mais tu es têtue » s'exclame Shéhérazade. Elle sait pourtant que toutes les futures sultanes ont protesté, enfant, mais que plus tard elles ont continué à respecter la tradition chacune à leur tour.

Elle frappe de nouveau dans ses mains, la femme réapparait.

« Ramène Sarah dans sa chambre et donne lui des jouets. »

La servante prend la fillette par la main et l'entraine, presque immédiatement c'est Sélim qui entre, ses cheveux sont devenus tout blancs et il est un peu vouté.

« Je peux te parler ? »

« Bien sur Sélim, tu peux toujours me parler. »

« Tu n'aurais pas dû faire enlever cette petite fille. »

« Mais c'est la tradition ! »

« Cette tradition est vieille de cinq siècles, Shéhérazade ! »

« Le palais aussi à cinq siècles. »

« Cette tradition est cruelle, j'ai vu souffrir déjà deux petites filles, j'ai moi-même enlevé la seconde, ta tante Ambroisine, je ne veux pas en voir souffrir d'autres. »

« Sélim, mêle toi de tes affaires, je suis la sultane de ce palais et c'est moi qui décide. »

« Tu es butée comme ta mère. »

« Je sais. »

Sélim quitte la pièce en trainant le pas. Il désapprouve l'acte de Shéhérazade. Il aurait voulu que la tradition s'arrête enfin, cette tradition stupide qui a liée deux familles dans le malheur. Il s'est dirigé lentement vers la chambre de l'enfant, il entre et regarde, c'est une petite fille de cinq ans aux boucles brunes et au regard bleu, elle se tourne vers lui.

« Qui es-tu ? » questionne-t-elle.

« Je m'appelle Sélim et j'habite ici depuis longtemps. »

« Tu la connais la dame en bleu. »

« Oui pourquoi ? »

« Il faut lui dire que je veux retourner chez moi. »

« Elle le sait mais elle veut te garder. »

« Pourquoi ? »

« Ce serait trop long à t'expliquer par contre je veux bien jouer avec toi. »

« Tu es trop vieux. »

« Trop vieux ! Je vais te prouver petite Sarah que je ne suis pas trop vieux pour jouer avec une petite fille. »

Sélim s'assoie avec difficultés sur les coussins à côté de l'enfant et il commence à lui raconter des histoires qu'il entendait dans son enfance comme il en racontait autrefois à Ambroisine, elle l'écoute avec attention puis soudain elle s'écrie.

« Tu as quel âge ? »

« Pourquoi ? »

« Parce que tu n'es pas si vieux que tu en as l'air. »

Sélim sourit.

« J'ai soixante-neuf ans. »

« Moi j'ai cinq ans. »

« Je sais. »

« Tu sais tout ? »

« Non. »

« Moi je crois que si. »

Sélim rit de bon cœur.

« Si tu veux. »

L'admiration qu'il lit dans les yeux de l'enfant le gène, Sélim ne pense pas la mériter. Pourtant cette admiration, il l'a déjà lu autrefois dans les yeux d'Ambroisine puis il n'y a pas si longtemps dans les yeux de Claire. Sa Claire à qui il a révélé son amour bien tard et qui est partie trop tôt le laissant une fois de plus seul, lui le petit africain vendu à dix ans par ses parents et condamné à tout jamais à n'être pas tout à fait un homme.

« Tu penses à quoi ? »

« A rien au passé » il la regarde puis reprend, « mais toi tu es l'avenir. »

Le regard bleu de l'enfant semble approuver, il se penche et l'embrasse, heureux d'avoir devant lui une petite fille qui l'admire même si il aurait préféré qu'elle ne vienne jamais mais puisqu'elle est ici....

Pour l'amour d'AliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant