Un Pas En Avant

70 7 4
                                    


Un vent glacial parcourait ma colonne vertébrale, figeant un instant mon attention, mon corps et tout mon âme. 

 Aussi loin que mes yeux se portaient les vagues déchaînées se changeaient en lames d'eau, furieuses, bourdonnantes. Elles s'éclataient sur d'immenses blocs de pierre affûtées comme des rasoirs. Mortelles. 

... Ilona...

... il ne faut pas que tu sautes...

...On arrête tous...

 Les mots d'Alice ne parvenaient que partiellement à mon esprit. 

Décousus, confus... perdus dans le vacarme. Poséidon déversait sa rage, là, à plusieurs mètres sous mes pieds, tandis qu'autour de moi tout semblait si loin. Dans d'épouvantables vacarmes dignes de la fureur des enfers, les vagues emportaient les mots, les images et les sensations avec elles. Purifiaient d'une certaine manière, bien à elles, le monde réel. Le lessivaient comme l'aurait fait une machine à laver le linge, géante. 

 Hors normes.

Il ne restait plus rien.

Plus rien que l'océan.

Que moi.

Moi... et la terreur.     

L'océan? Poséidon? Les enfers? L'eau n'avait pas d'âme. Pas plus que j'en eu, en tous cas. Elle ne ressentait pas les émotions, non plus. Elle se contentait de suivre un cycle. Celui du flux et reflux incessant. Comme la vie. Comme... le sang dans mes veines. Lui aussi, suivait son cycle. Je pouvais le sentir.

Je ne sentais plus que lui.  

Je ne m'étais jamais demandé comment j'allais mourir. Pour la simple et bonne raison que, jusque-là, depuis toute petite, elle m'accompagnait partout. Cette... présence. Cette... odeur. L'éternelle présence de l'odeur de la mort, qui collait à ma peau. Aussi, même aujourd'hui, alors que mes orteils furent si proche du vide, la question ne se posait pas. 

La réponse était évidente. 

Mais... j'avais le choix. 

"L'océan ou la balle."

Mes seules alternatives. 

Lorsque je songeais à ce qu'était ma vie jusqu'ici, ce fut soudain limpide. Comme si, là, à moitié suspendue dans le vide, ma propre ligne du temps se dessinait à mes pieds. Depuis mon village natal... le marché aux esclaves où nous fûmes revendues, mes sœurs et moi, et qui nous avait fait franchir un l'océan Pacifique pour atteindre l'Amérique. Toutes ces années passées avec Grand-père... sa mort, puis, ces dernières semaines chez le Viking.

Pour me retrouver de nouveau face à l'océan.

Infranchissable, cette fois.

Une force invisible me poussa à détourner le regard. Il se perdit sur Jasmine et Marouelle; bien vivantes. Puis sur le Viking... Alice... Là, étrangement, la terreur s'en alla. J'allais quitter ce monde que je n'avais jamais compris et dans lequel je n'avais jamais trouvé ma place. 

Mais aujourd'hui, j'avais une famille.

Des amis.

Quelque chose à sacrifier.

Pour eux.

Avant ce moment ma vie ne fut qu'une succession de journées, identiques les unes aux autres. Une vie durant laquelle je pensai savoir qui... ce que j'étais. On me l'avait assez répété.

Un monstre.

Un esprit maléfique.

Une sociopathe.

Seules quelques secondes me retenaient encore du côté des vivants. C'était peu... mais... tellement, aussi. Assez en tous cas pour comprendre une chose. LA chose la plus importante de ces dix-neuf dernières années. J'étais aussi une amie, une sœur et une femme. 

L'Albinos (DARK ROMANCE)Where stories live. Discover now