« Simple et facile ».

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J'étais face à lui, dans mon rêve. J'avais les cheveux emmêlés, le visage rougi et les yeux brillants : je débordais d'un émoi singulier, j'étais submergée par une émotion ambivalente, entre colère et tristesse. J'avais émis une sorte de gémissement, un petit grognement : je ne savais pas si je voulais pleurer ou hurler. Il restait stoïque, imperturbable, face à moi, comme une roche prise dans la houle d'une tempête. Une tempête remuait sous ma peau : le tonnerre grondait dans ma poitrine, une mer agitait mon sang et un vent sifflait dans mes oreilles. Je m'entendis à peine prononcer ces mots :
- J'ai envie de faire l'amour avec toi.
Ma voix n'avait été qu'un sifflet de train : stridente , bruyante et inaudible. Il était face à moi, respirant doucement, à peine secoué par ma déclaration. Il ne bougeait pas : ses bras étaient croisés autour de son buste, ses jambes étaient grandes, légèrement écartées, comme s'il s'apprêtait à monter à cheval, et son corps entier était mou, informe, se laissant balancer au rythme des respirations de sa poitrine, des tremblements de ses poumons. Ses cheveux ont poussé , les muscles de ses bras ont grossi et ses épaules se sont élargies, mais je parvenais encore à le reconnaître : il était encore celui que j'avais aimé. Je crois l'avoir trouvé beau, dès le second regard de nos retrouvailles. Je suis certaine que je ne pouvais me retenir de lui dire que :
- J'ai envie de faire l'amour avec toi, répète-je, les pommettes gorgées de sang, la gorge gonflée de bêtise et le front ruisselant d'audace. Quand j'imagine le déroulement des choses, j'imagine que tu me dis que tu m'aimes, que je te dis que je t'aime et j'imagine ensuite, que faire l'amour avec toi est simple et facile.
Il s'approche de moi, avance de quelques pas et retient mon visage entre ses paumes froides, molles et grandes. J'ai terminé mon discours les joues rougies, le sang battant dans mes tempes, la chaleur grimpant dans mes veines jusqu'à la racine de mes cheveux, et le contact de ses doigts sur mon visage électrise ma peau, rafraîchit mes joues. Je suis obligée de lever la tête, de planter mon regard dans le sien et d'être suspendue à ses lèvres.
- Je t'aime, dit-il en froissant sa bouche.
- Tu me dis ces mots parce que tu espères coucher avec moi.
Son regard s'embrume, son front se flétrit : une ombre passe sur sa face. J'espère secrètement avoir blessé son cœur, meurtri ses espérances : j'espère avoir dit ce qu'il ne voulait pas dire, ce qu'il refusait d'entendre. Ses lèvres décomposent un mouvement empressé, saccadé : il se dépêche de parler. Les mots courent sur sa langue, se perdent sur le chemin de ses lèvres. Il ajoute, d'un ton nerveux, rapide, le visage étroit et le teint livide (une face que je ne reconnais pas) :
- Je te dis ces mots parce que je t'aime, parce que j'ai envie de faire l'amour avec toi et parce que je veux t'offrir ton rêve. Je t'aime, mon ange.
L'étau de ses doigts sur mes joues se resserrent en piquant ma peau, la pression de ses mains sur mon visage se contracte en écrasant mes pommettes. Il a le regard brillant, étincelant comme le mercure d'un miroir : j'oublie les larmes qui débordent du coin de ses paupières (je ne sais que faire de la possibilité qu'il s'attriste d'amour, qu'il s'émeuve de désir, pour moi). Seulement, quand il écrase ses lèvres contre les miennes, je goûte une saveur de sel, tiède et chaude, je sens comme une texture de brioche trempée dans une tasse de thé, molle et mouillée. Ses mains s'accrochent à mes vêtements comme l'ancre d'un bateau pris en pleine tempête s'accroche à la rive, avec désespoir et fermeté. Il soulève mon haut, me débarrasse de mon soutien-gorge : j'ai l'impression qu'un voile qui me séparait du monde se lève, enfin. Me retrouver nue face à lui est une évidence, comme un jeu de mauvais enfants.

Plus tard dans la soirée, dans un large lit, nous nous reposons ensemble sous des couvertures. Nos corps sont nus, nos cheveux sont collants, notre sang bat vigoureusement dans nos veines, sous notre peau, montant en un nuage à nos joues et grimpant en flèche sous nos fronts.
- Impressionnant, susurre-t-il au milieu du désordre de son souffle, entre deux sursauts de son buste.
Je me retourne dans le lit, m'allonge sur le flanc droit, en tenant ma tête, suspendue au-dessus de l'oreiller, d'une main moite.
- Je ne dirais pas : « impressionnant », rétorque -je aussitôt.
Son visage se tourne vers moi, sans hésitation, avec les sourcils levés et le sourire élargi : j'observe avec un œil attendri et les lèvres lâches, cette tête à l'envers surplombée de boucles brunes indisciplinées et au un teint rose de nouveau-née.
- Comment était-ce, alors ?
J'appuie un doigt sur le bout de son nez, comme sur un interrupteur. Il fronce sa peau, ride son front, en faisant la moue et en agitant le menton.
- Simple et facile, avoue-je avec un sourire dans la voix, attendrie par son visage d'enfant boudeur.

Cœur briséWhere stories live. Discover now