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Sylvie trouva la théière dans la brocante qu'elle arpentait les mercredis matin, l'air était saturé de poussière et alourdi par la chaleur de plomb qui régnait alors

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Sylvie trouva la théière dans la brocante qu'elle arpentait les mercredis matin, l'air était saturé de poussière et alourdi par la chaleur de plomb qui régnait alors. Deux auréoles de transpiration cerclaient déjà ses aisselles lorsque son regard s'arrêta sur une théière vétuste, éméchée et très colorée sur laquelle on avait maladroitement peint des fleurs dans un style au caractère si singulier que la première pensée de Sylvie fut qu'elle pourrait aisément la faire passer pour une œuvre d'art contemporain.

— Combien pour la théière ? Demanda Sylvie au vendeur malingre et à l'œil droit poché qui semblait se confondre dans le souk de son étale.

— Elle est à vous ! Cadeau ! S'exclama-t-il dans un sursaut de peur qui secoua sa carcasse de misanthrope, avant de masquer ses yeux sous ses grandes mains squelettiques comme un animal effrayé.

Lorsqu'on lui offrait quelque chose, Sylvie ne refusait jamais, elle savait exploiter et reconnaître l'utilité des choses là où les personnes privilégiées n'y voyaient qu'un déchet usé. Quel monde injuste, songea-t-elle en emportant la théière sans adresser un regard à son vendeur malingre.

Chez elle, elle se plaçait souvent devant le miroir et regardait son visage en inspectant les différentes imperfections de sa peau, puis passait une main sur son cou pour sentir si elle avait un double menton lorsqu'elle baissait la tête, ou encore se tenait de profil en tâtant son ventre et les bourrelets qui se dessinaient par-dessus son t-shirt. Cela ne lui renvoyait qu'une image bien loin des idéaux véhiculés par les médias, ces femmes siliconées aux courbes parfaites comme le nouvel archétype de la femme dans la société.

L'argent dans ces moments-là, semblait toujours être la solution à tous ses problèmes.

— Quelle merde, s'étrangla Sylvie en renversant le cadre photo où elle embrassait son mari le jour de leur mariage.

Elle sentait toujours une tristesse pesante alourdir tout son corps, l'étouffer en compressant sa poitrine comme pour la tuer. Elle ne supportait plus de devoir travailler toujours plus durement pour subsister dans un monde profondément injuste qui agitait sous ses yeux désireux tout ce qu'elle ne pourrait jamais atteindre. Sylvie éclata en sanglots, ce fut si soudain (elle-même ne s'y attendait pas, c'était comme si son corps avait décidé de céder à son affliction sans en concerter son esprit) qu'elle en tomba à la renverse et s'écrasa le coccyx sur le rebord d'une chaise.

"Aïe" s'écria Sylvie alors qu'une douleur brûlante irradiait son postérieur ; elle se tenait par terre, à quatre pattes sur le sol et incapable de se relever sous le coup de l'humiliation, elle se sentait misérable comme si la pauvreté s'était incrustée sous sa peau et qu'on avait gratté son front pour y inscrire "prolétaire" avec le rouge de son sang.

Ce fut ce moment que choisit la théière pour laisser échapper un billet par son bec verseur, il glissa dans l'air avant se braquer en arrière, se redresser, dériver de gauche à droite pour délicatement se poser devant le visage circonspect de Sylvie.

Recueil de NouvellesWhere stories live. Discover now