― 𝓔𝓵𝓵𝓮 regardait le ciel en craignant le futur ❞
C'est un concentré de mes sarcasmes déplorant la bêtise du monde et ce qu'il pourrait advenir dans l'une de ses funestes contingences.
On prenait une bière tous les vendredis soir avec Théodore, lui sur le tabouret envahi par le bambou et moi dans le coussin au ras du lierre, des géraniums et des bégonias ; dans ma « jungle domestique » comme il se plaisait à marmonner chaque fois que mon petit balcon le ramenait à sa taille de géant. Les derniers rayons obliquaient face à nous et la radio grésillait dans mon oreille comme si elle ne supportait pas de se cantonner à son rôle de second plan.
- T'as déjà pensé à démissionner ? Demanda Théodore qui rongeait l'ongle de son pouce.
Je haussai vaguement les épaules, n'ayant jamais été quelqu'un de volubile. Mon ami comprendra que je l'écoute même si l'escouade de fourmis qui attaque à l'instant mes fragiles pensées violettes est tout aussi fascinante.
- C'est sérieux cette fois, Camille, je n'ai pas seulement besoin de la moitié de ton attention.
« De récentes études relatives à une approche populationnelle des taux de suicide ont démontré... » crachote la radio quasiment antique - qui utilise une radio de nos jours ? « En France, le suicide est devenu la première cause de mortalité des 15-25 ans, avec plus de 46 % des décès de cette classe d'âge en 2025... Ce sont les taux les plus élevés d'Europe ».
Les fourmis attendront. Par terre, le sol est brûlant et se mêle aux perles de condensation glacées sur mon verre.
- Je t'écoute, dis-je en fixant son menton tordu.
- À moitié ? Regarde au moins le blanc de mes yeux, soupira le colosse. Je suis las, vraiment cette fois.
- Ah bon ? m'étonnai-je, je pensais que ton travail te plaisait.
- Tu fais bien de parler au passé, renifla-t-il ironiquement, ma promotion m'est passée sous le nez. C'était la mienne pourtant, avec tous les efforts que j'ai déployés. Ah ! Pour une raison si dérisoire.
C'était à se demander si Théodore avait travaillé son effet de suspense, en tout cas, c'était théâtral, son air dramatique, véritablement poignant.
« Le Sénat a donc voté la nouvelle loi « du sourire » qui entrera en vigueur dès cette fin de semaine dans tous les établissements publics... Porté par son slogan : C'est gratuit, ça fait du bien, et c'est communicatif ! »
- C'est si dramatique ? Dis-je en écrasant une fourmi du bout de l'ongle.
- Bien sûr que ça l'est ! Figure-toi, déclara-t-il rempli d'une férocité toute vindicative, que mon employeur m'a déclaré, avec ce ton sirupeux dégoulinant d'une alacrité commerciale, « sincèrement navré, votre sourire n'est pas au goût du jour ». Et puis voilà, rentre chez toi !
Je regardais pester le colosse, ses traits étaient grossiers et imprécis comme s'ils avaient toujours manqué leur rendez-vous avec eux-mêmes.
- C'est vrai que tu as toujours plus été du genre Cyrano que Dorian Gray.
- Pour un simple sourire, Camille, souffla-t-il blessé par mon manque de compassion.
Ainsi, par un vendredi soir brûlant, les fourmis massacrèrent les fragiles pensées violettes.
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