Chapitre 1

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Lorsqu'elle aperçut le Vortex pour la première fois, Claire pensa à un miroir. Immense, presque rond, légèrement plus grand qu'elle, il se dressait, luisant faiblement, contre le mur de la cour qu'elle était en train de traverser.

Immédiatement après cette constatation, la jeune fille se ravisa. Plutôt qu'un miroir, cela s'apparentait davantage à la surface faiblement ondulante d'un lac, telle qu'elle apparaîtrait un jour sans soleil, agitée par une légère brise. Reflétant sa silhouette et le paysage autour d'elle, et laissant pourtant vaguement visible le fond, derrière.

Le fond... Derrière son reflet incrédule, mouvant, était-ce une estrade qu'elle devinait vaguement ? Et, au-delà, plus flou, une sorte de salle immense, fourmillante d'animation ?

Curieuse, elle s'approcha. C'était tellement étonnant, tellement... impossible à concevoir, qu'elle n'avait pas vraiment peur. Pas encore.

Plus près. Encore plus près.

C'est quoi, ce truc ?

Ni un écran, ni une image projetée sur le mur de la cour, en tout cas, car l'objet en question, quel qu'il soit, se dressait au-dessus du sol pavé à une bonne vingtaine de centimètres de la façade sale et écaillée derrière lui.

Un hologramme, alors ? Mais il faut un support derrière, un genre de ventilo, non ?

Elle n'en avait jamais vu en vrai, mais ceux qu'elle avait aperçus sur les réseaux sociaux ne ressemblaient pas du tout à ce grand cercle tremblotant aux bords curieusement flous. Aux bords tellement flous, en réalité, qu'ils irritaient le regard si on essayait de les fixer directement, comme si les yeux refusaient de se poser sur la démarcation entre l'image ondoyante et le mur sombre juste derrière.

De toute manière, qu'aurait fait un hologramme, au fin fond d'une cour décrépite, entre un vieux vélo et une poubelle qui débordait ?

Presque sans y penser, elle avança la main.

Dans un hologramme, on peut voir son reflet ?

NON ! Idiote, ne fais pas ça ! Tire-toi d'ici en vitesse !

Mais elle toucha la surface.

... et c'est ainsi qu'elle traversa.

*

Peut-être était-ce parce que la marche s'avérait de plus en plus malaisée que Claire avait pensé au raccourci. Ces derniers temps, elle l'avait peu emprunté, sans doute parce qu'elle avait passé l'âge où ces minuscules allées avaient un parfum d'aventure.

Comme tous les gamins de la vieille cité, elle avait exploré en long et en large ces passages mystérieux, que l'on nomme parfois selon la ville « traboules », « traverses », ou encore, comme ici, simplement « passages ». Souvent, ils commençaient derrière une porte cochère, se dissimulaient au fond d'une placette animée, ou bien encore se dressaient entre deux murs aveugles, si rapprochés qu'il fallait un œil attentif pour en deviner l'entrée.

Sombres, étroits, tortueux, ils se transmettaient, tels des secrets jalousement gardés, de génération d'enfants en génération d'enfants. Ce théâtre d'embuscades féroces, de parties de cache-cache endiablées et de mille confidences ne se retrouvait limité que par les contraintes si agaçantes des adultes : les cris et cavalcades qui résonnaient dans les cours encaissées, entraînant alors des avertissements courroucés des habitants excédés, ou pire encore, l'heure des devoirs qui finissait toujours, fatalement, par sonner.

Parfois, ces passages menaient dans un cul-de-sac, au fond d'une cour décrépite qui n'avait quasiment pas changé depuis cinq cents ans. D'autres fois, ils conduisaient sur le bord des canaux souterrains, vestiges d'anciens ruisseaux, qui allaient se jeter dans le lac tout proche. Et d'autres fois encore, d'arrière-cours en arrière-cours, ils débouchaient comme par magie de l'autre côté du vieux quartier...

Kivilis - Le Cycle du Vortex, T1Where stories live. Discover now