Dix-neuf. ✷ Phoebe Bridgers.

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Octobre 2022, Italie. ✷ GABRIELE.

On a tous un artiste favori, et pour Gabriele, cet artiste, c'est Phoebe ; du moins, c'est ce que l'italienne a écrit à l'arrière de la photographie qu'elle vient tout juste de sortir de sa Boîte à Souvenirs. ( Anciennement hôte de ses chaussures favorites. ) Et dedans s'entassent des porte-clés et cartes postales des quatre coins du globe, et quelques vieux tickets de cinéma encore imbibés des traces de lipides des pop-corns qu'elle a mangé durant sa séance, et deux ou trois lettres écrites venues de son cœur, majoritairement adressées à Maman Zacchi, et des photos développées.

On pourrait même dire, une quantité astronomique de photographies : avec Palmira, allongées sur une serviette au bord de l'eau, avec Kristjan, dans le bar préféré de la brune, avec Palmira, dansant un soir de nouvel an, avec un peu ( beaucoup ) d'alcool dans le sang, avec Suzana, Gianni et Sveva, lors des vingt-cinq ans de la première. Gabie était encore jeune. Ses joues brûlent, rougissent sous la lumière artificielle. Celles de Sveva aussi. Gabriele n'y fait pas attention. Puis Palmira, encore et encore. Parfois Gabie n'est même pas sur les clichés. C'est seulement d'elle, dont elle veut se souvenir. Henrik et Veline ont le droit à un cliché. Kris et son ami Raoul également. ( Gabriele a été forcée, pour celle-ci. L'albanais n'a pas de Boîte à Souvenirs à lui, alors il squatte celle de Gabie ; et cela ne la dérange pas vraiment. La brune lui fera toujours une place dans sa vie. )

Son cœur se serre, face à la suivante : Palmira, debout sur un banc, face au Duomo de Milan. Son bloc-notes tient dans sa main droite, son verre qu'elle a chipé dans un bar dans l'autre ; son contenu avait été payé, attention ! La cadette des Di Blasio n'avait pas fait gaffe, n'avait pas remarqué le crime qu'elle avait commis en partant avec. ( Peut-on lui en vouloir ? Ce verre de marque ne manquera à personne. ) Mais ce n'est pas le geste de la brune, qui chagrine l'italienne, c'est de voir son visage souriant qu'elle n'a pas vu depuis un mois. Et c'est de sa faute.

Si on lui avait dit, quelques semaines auparavant, qu'elle aurait vu son père plus de fois que Mimi durant un mois, elle aurait rigolé au visage de l'idiot qui aurait osé lui dire ça. Quelle vaste blague ! ( Et pourtant, c'est la vérité. Papa va bien, en prison. Du moins, il fait croire ça à tout le monde. Gabie s'en fiche. C'est pour elle qu'elle va le voir, pas pour lui. Kristjan a dû mal à comprendre, son changement d'avis. Elle sait qu'il ne peut pas comprendre sa situation. Parce que si quelqu'un devait la comprendre, chez la famille Asllani, c'est son grand frère Henrik. Elle ne s'étalera pas sur le sujet. Elle sait ce qu'elle veut dire, et c'est ça le plus important, à son avis. Mais elle répète qu'elle souhaite éviter toute forme de regrets, et ignorer son papa en fait parti ; ignorer Palmira aussi. )

Ça sonne à Maison Soleil. Echo ne daigne regarder qui les contacte, de peur que cela soit Cassandra. Mimi arrive devant le combiné, décroche.

⸺ Allô ?

⸺ Hey.

⸺ Gabie ? ( Elle prononce son nom avec surprise. Les syllabes rêches se frottent les unes aux autres. Cela fait un moment qu'elle n'a pas prononcé son nom. )

⸺ Ouais Mimi, c'est moi. Ça va ?

( Ça allait jusqu'à ce que t'appelles. )

⸺ Ça va, oui.

Suzana dévisage Palmira, à l'autre bout de la pièce. Gabie ne le voit pas, mais elle le sait, par habitude. ( Les ongles de la brune doivent tapoter l'écran de son téléphone, adressant des messages subliminaux à Sveva, sur ses réseaux sociaux. Cent quarante caractères qui sont pas beaux à voir ; la romaine doit s'en foutre, puisque elle a bloqué son arobase et Suzie ne s'en est même pas rendue compte. )

✷ Smoke Signals.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant