Neuf. ✷ Jour d'enterrement.

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Juillet 2022, Albanie. ✷ GABRIELE.

Aucun mythe albanais ne parle de la Mort. Aucun mythe albanais ne parle de ce qui se passe après. ( Y'a t'il un après ? C'est une question où chacun voit cela différemment. ) En Albanie, le mot mort désigne à la fois celle-ci puis la cérémonie funéraire qui s'en suit. Belina était albanaise. ( Elle le sera toujours, même si elle n'est plus. ) Quand on y pense, c'est peut-être pour cela qu'elle a préféré être incinérée ; personne ne veut vexé ses proches en faisant le mauvais choix. MORTEM OCCUMBERE PRO PARTIA. ⸺ Cette phrase était gravée sur une planche en bois qui trône encore au-dessus de la porte de garage. La planche est encore là, la gravure aussi ; mais pas Belina. ( Alors le passé semble plus adéquat. )

Le ciel, d'habitude peint en azur, est d'une couleur noir charbon. Tout le monde est en deuil, Soleil également. Un discours est prononcé, dans cette église aux parois de glace. ( Gabriele Zacchi ne retient rien de ces mots, la maladresse l'emportant sur le respect quand elle quitte le lieu en courant. ) Elle a l'impression d'être un aimant à mort. Peut-être que la faucheuse s'est éprise d'elle ? Pourtant, il n'y a pas de quoi. ( Elle se demande encore ce que Kristjan fait là. Qui m'aime me suive. Lorsque Gabriele regarde dans son rétroviseur, elle ne voit rien. À part son sauveur. Dieu ou Kristjan ? Il est présent. Il est toujours, toujours, là, et ça lui fait bizarre, d'avoir un pilier. )

D'avoir quelque chose à perdre. Gabie déteste ça, ça lui rappelle son enfance réduite en cendres par son faux père.

Ah les cendres...! Belina s'y connait, maintenant. Les flammes de bronze embrassent sa dernière demeure, lui caressent lentement sa peau laiteuse. Personne ne dit un mot. Gabriele est revenue à leur chevet. Ils laissent le feu parler pour eux. Et leurs regards reflètent la couleur que portent les invités ⸺ aussi noire que la poudre macabre qui est en train de se former. La tradition ici, c'est de nourrir les flammes et non vénérer les cendres. ( Gabriele fait honte à la nation. )

Ses ongles trouvent encore une fois le chemin de ses paumes endolories. La mère de Kristjan aimait les proverbes. ( Beaucoup. ) Et lui, comme son père, les déteste. Ils sont inutiles. Pourquoi se prendre la tête sur des putains de mots futiles ? Il ne comprendra jamais sa mère. Les opposés s'attirent mais Qui se ressemble, s'assemble. Cela n'a aucun sens. C'est peut-être parce qu'il n'est comme eux, qu'il ne les supporte pas.

En Italie, du moins chez les Zacchi ; ou ce qu'il en reste, on a une préférence pour On ne meurt qu'une fois que tout le monde nous oublie. Car c'est un peu plus dramatique. Ou bien un peu plus Commedia Dell'Arte, comme dirait la meilleure amie de Gabie, Palmira. La brune lui manque. Cela ne fait que deux jours que Gabriele est ici, mais pourtant ce n'est pas l'impression au fond de son cœur. La mort perturbe l'espace temps ; et la vie semble se mettre en pause. Lorsqu'elle dépose une rose devant le marbre gravé au nom de Belina, elle se promet de ne jamais l'oublier, et de transmettre son nom lorsque elle-même s'en ira. ( Les trois syllabes de cette femme forment une discrète pyramide de Maslow, représentant tout ce dont Gabriele a besoin. )

Belina, on se souviendra de toi.

Une main ferme presse ses épaules voûtées. ( Des mains abîmées par les autres. ) Ses prunelles humides sont tournées vers le sol. ( Où jonche les rêves et les amants maudits. ) Et sa bouche tremble, ses lèvres à demi entrouvertes. Mais Gabriele n'a pas la force de parler, aujourd'hui. Elle n'est pas la seule, à être impuissante face à l'œuvre de la faucheuse. C'est toute la famille des Asllani qui semble être touchée par ce phénomène, et à raison. Personne ne parle. Tout le monde est plongé dans le silence. Seul le vent comble le vide qui enrobe la famille endeuillée par la perte de Maman.

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