Douze. ✷ Cendres et marée.

281 21 96
                                    

Août 2022, Albanie. ✷ GABRIELE.

⸺ On s'en va.

Kristjan se tient devant Gabriele, un sac à dos à motifs dans une main, le trousseau contenant la clé de sa voiture ( pas la voiture noire de la nuit milanaise où le ciel n'était pas le seul endroit où l'on pouvait voir des étoiles, celle avec laquelle il a appris à conduire et qui appartenait à son père il y a longtemps ) dans l'autre. Effectivement, Kristjan est vêtu d'un marcel blanc et effectivement, elle préférerait qu'il abandonne cela ; car Gabriele Zacchi sait que cela cache quelque chose, un deuil non établi, un amour qui persévère malgré la perte, un moyen de se rattacher à une chose perdue. ( Des reproches qu'elle-même n'arrive pas à concevoir. )

⸺ Où ça ?

⸺ À la maison.

⸺ Mais c'est chez toi ici ? ( Ce qui était une affirmation se transforme en question dans sa bouche asséchée. )

⸺ C'est bien ça le problème. ( Mon Dieu... La honte dans son regard, celui hérité de son Papa Courage. Que dire sur son fils imbibé de déshonneur ? Henrik, lui, n'oserait jamais dire cela. Parce que c'est sa maison, ici. Kristjan, lui, a perdu ce droit en se rendant en Italie, il y a deux ans. Rien n'est plus pareil. Le brun a perdu sa famille ⸺ n'en a-t-il pas trouvé une nouvelle ? )

Gabriele le dévisage tendrement. Elle a envie de parsemer son visage de baisers et de lui dire que tout ira bien, que tout cela va vite s'arranger et qu'un jour le vide va se combler et la tristesse va disparaître, mais elle n'est pas une menteuse. L'italienne a un paquet de défauts, certains diraient même qu'elle n'est qu'une anomalie, mais elle ne ment pas. ( Contrairement à Suzana Di Blasio, elle qui pourrait lui donner quelques leçons dans cet Art qu'est le mensonge dégoulinant de ses lèvres carmins. ) Elle pourrait. Elle devrait ? Plutôt crever que de trahir sa parole. ( C'est drôle cette phrase, mentir ou la Mort... Ai-je déjà parlé de sa tentation pour celle-ci ? )

⸺ Pourquoi ?

⸺ J'ai plus cette impression, Gabie.

S'il y a bien une personne sur Terre qui peut comprendre son ressenti, c'est notre chère Gabriele. Alors elle hoche la tête, lentement, comme pas sûre d'elle, parce qu'elle ne l'est pas, et cherche une solution à son problème. Notre douce Gabie... Ses cheveux ont un peu poussé, depuis qu'elle est ici. C'est dire à quel point l'épisode Albanie s'est allongé. ( Elle n'a pas vu Mira depuis deux longs mois. Elle lui manque. Elle sait que c'est réciproque. ) Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas passé autant de temps ensemble et ce n'est pas pour lui déplaire, même s'il faut l'avouer, les circonstances de leurs retrouvailles rendent la chose un peu pesante.

( N'a t'elle pas le droit de trouver un brin de bonheur dans un moment qui n'est pas heureux ? Peut-être qu'elle devrait se sentir mal, de sourire alors qu'elle loge sous le toit d'une famille en deuil, mais comment empêcher son cœur de s'emballer, ses pupilles nacrées de s'extasier, son visage de s'illuminer et ses lèvres de s'incurver lorsque l'homme qu'elle aime est à ses côtés ? Gabriele mérite un éclaircie. )

S'il y a bien une chose que l'italienne connaît, c'est cela, le deuil, et jamais, jamais, elle ne se permettrait de juger quelqu'un pour sa manière de le faire. ( Est-ce si horrible de demander la même chose pour elle ? ) Peu importe, elle a d'autres problèmes à gérer pour le moment. Problèmes dont le brun qui la fixe n'est pas au courant, certes. ( Ne la blâmez pas ! Son tee-shirt "i support women's rights AND women's wrongs." que Palmira aime lui emprunter vous dévisagerait. )

⸺ Avant on pourrait...

La faucheuse se penche sur son épaule et murmure la fuite dans son oreille. Gabie avait presque oublié sa présence. Mais comme toujours, c'est la vérité qui sort de sa bouche.

✷ Smoke Signals.Where stories live. Discover now