Prologue [Réécrit]

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Cela faisait maintenant quinze ans que j'avais perdu la vie. Quinze longues années durant lesquelles j'avais été libre de juger les hommes et leurs actions depuis ma tour d'ivoire. J'avais vu nombre d'existences détruites, des royaumes saccagés, de fragiles alliances se mettre en place, des hivers ravager des armées entières et de multiples vies se lier pour mieux prospérer. Mais aucune destinée ne m'avait plus fascinée que celle de ces jeunes personnes.

Tout le monde pense qu'être la future dirigeante de son royaume est chose facile. Toutefois, être une princesse ne consiste pas qu'à assister aux réceptions et faire toujours bonne figure, passer de robe enrobe pour aller de bal en bal. Ce n'est que le titre qu'on vous donne. D'aucuns se sentiraient privilégiés d'hériter d'une telle richesse, en comparaison de la misère dans laquelle vivait le peuple, d'avoir tant de responsabilités à un si jeune âge. La nature humaine veut en effet qu'on se prenne sans cesse à rêver de la vie que nous ne menons pas.

Mais après toutes ces années, il devenait de plus en plus difficile de ne pas avoir l'impression de vivre dans une prison dorée. Ce qui vous sauvait, ce qui vous permettait de continuer dans ces conditions sans poser de questions, c'était que votre esprit, lui, était libre de penser, de rêver et d'aimer.

Aure le savait bien. Depuis sa plus tendre enfance, elle avait compris bien des choses à propos de son titre. Elle faisait tous les efforts du monde pour ne pas décevoir son père: elle priait à chaque repas, parlait convenablement, s'habillait comme il se doit,apprenait à lire et à écrire avec minutie et occupait sa place dans la société. Elle avait même fait venir tout spécialement des prêtres des autres royaumes pour lui enseigner ces langues étrangères qui lui seraient un jour utiles dans les échanges entre leurs nations. En tant que femme, elle devrait à coup sûr se faire respecter et il lui paraissait que sa grande culture en constituerait l'un des moyens pour parvenir à ses fins.

Elle aimait son père de tout son cœur. Aure n'avait en revanche aucun souvenir de sa mère qui était morte en mettant au monde son frère Ulrich, de deux ans son cadet. Depuis leur enfance, une relation basée sur la compétition s'était immiscée entre eux deux. Lorsqu'il leur arrivait de coopérer, la confiance était rarement de mise.

Ce matin-la, l'aube commençait à peine à pointer lorsque Aure se réveilla. Celle-ci glissa hors de sa peau de bête dans laquelle elle aimait tant se rouler et se rapprocha de sa fenêtre. Les rayons du soleil n'atteignaient pas encore sa chevelure dorée. D'après ses estimations, il lui restait environ trois heures devant elle.

Comme un rituel bien établi, fait de gestes mécaniques, elle retira un collier de son cou et en ouvrit le pendentif qui contenait une unique clé, fluette et ouvragée irrégulièrement, certainement pas par l'artisan attitré au château. Elle se dirigea par la suite jusqu'à son cabinet de toilette, puis ouvrit une boîte cachée dans l'une de ses robes. Un tas de lettres à l'écriture fine et penchée était posé à la surface. Aure les mit délicatement de côté et prit les vêtements installés au fond de la boîte ainsi que la sacoche, la referma à clé et rattacha le pendentif à son cou. Elle prit même soin de dissimuler le pendentif dans son corset.

La princesse enfila rapidement le pantalon noir, la chemise blanche, le gilet gris et les bottes à lacets qu'elle venait de prendre et mît sa sacoche en bandoulière afin qu'elle ne glisse pas puis s'assit sur le bord de sa fenêtre.
Elle avait déjà fait ça des centaines de fois mais jamais le vent n'avait semblé si fort et déstabilisant.
Les pierres du château étaient assez espacées. Aure pouvait donc descendre et escalader le mur à sa guise et avec une certaine facilité. Dans ces conditions, son excès de prudence était son meilleur ami et lui permettait tout de même de prendre des initiatives qui allaient à l'encontre de sa position sociale.

Une fois arrivée au bas de la tour,les bois n'étaient qu'à quelques dizaines de mètres. Cela permit à Aure de s'enfoncer dans la forêt jusqu'à une clairière avec d'autant plus de sécurité, réduisant les risques d'être aperçue par un quelconque habitant du royaume.

Ces escapades étaient son moment préféré de la journée. Un délicat parfum floral et une grande sérénité se dégageaient de cet endroit idyllique, lui faisant oublier toutes ses préoccupations quotidiennes. La jeune femmes'était toujours sentie chez elle dans les bois également parce que ceux-ci gardaient son secret depuis de nombreuses années maintenant.

Là, l'attendait une jeune fille. A en juger par son visage lisse et par ses mains, dont la peau semblait intacte et vierge de tous travaux manuels, elle devait avoir environ seize ans, ses longs cheveux roux allant au gré du vent et ses grands yeux verts donnant l'impression de se contempler dans deux émeraudes.

Aure lui sourit.

―Tu as ton épée ? lui demanda la jeune fille, en se positionnant face à elle, une dague dans la main.

―Évidemment, lui répondit Aure en levant les yeux au ciel.

Toutes les deux se rapprochèrent jusqu'à ce que leurs corps ne fassent plus qu'un et que leurs lèvres se touchent.

Aure Pourpre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant