Chapitre 2

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Omniscients :

    Chaque jour depuis le "sauvetage" de Charlie par Julian, ce dernier vient la voir pour lui parler, savoir comment elle va ou simplement être près d'elle. Ce que, d'ailleurs, Charlie ne comprend absolument pas. Chaque fois qu'il s'approche, elle essaie de fuir son regard pour ne pas lui causer d'ennui, même si les yeux verts de Julian lui sont clairement impossibles à éviter.
    Dans les couloirs, il n'est jamais très loin. C'est comme s'il restait dans l'ombre, la surveillant de loin et intervenant au moindre problème. C'est vrai que vu de l'extérieur, ça pourrait passer pour assez psychopathe ou stalker, mais en vérité, il est le seul à vraiment savoir ce qu'elle ressent grâce au texte qu'elle a écrit et qu'il a pu lire. À première vue, ça ressemble simplement à un poème écrit par une adolescente passant par une mauvaise passe. Mais quand on connaît l'art de la musique, l'art de manier les mots pour transmettre des émotions si fortes, seulement avec un stylo, comme sait très bien le faire Julian, on comprend rapidement ce que ressent la personne qui écrit ces mots bouleversants, que Charlie a écrits. C'est pourquoi il a décidé de l'aider. Peut-être pas directement, car ils ne se connaissent pas vraiment, mais du moins indirectement, il compte bien tout tenter pour alléger le regard bleu océan et profond de Charlie de toute douleur.
    Elle ne sait pas comment réagir. Elle ne sait pas si elle doit lui dire d'arrêter ou lui dire merci. Un sentiment de légèreté intérieure s'est installé depuis qu'elle ressent son regard dans les couloirs. Mais Charlie ne peut s'empêcher de se répéter que ce n'est qu'un inconnu et qu'il finira de toute façon comme tous les autres. C'est toujours de cette façon que ça se termine, dans tous les cas. On fait confiance à quelqu'un, puis il nous plante un couteau dans le dos en nous trahissant. Souvent, ce sont les personnes auxquelles on s'attend le moins, les personnes les plus proches de nous, qui cachent derrière leur dos une lame prête à nous poignarder, attendant le meilleur moment pour l'enfoncer profondément dans le cœur. C'est ainsi que fonctionne le monde désormais.

Charlie :

    Midi sonne. Enfin la pause, je n'ai qu'à aller à mon casier et ensuite rejoindre Kim en priant qu'elle m'attende et qu'elle ne soit pas partie avec Kaisson et son groupe...
    Dans le couloir, c'est toujours la même chose. Les gens me bousculent ou me regardent de travers et pour les plus idiots d'entre eux, ils m'insultent pour essayer de copier les plus populaires. Quelle bande de moutons, bordel. Mais j'essaie de garder mon calme, de contenir mes larmes et de ne pas m'enfuir le plus loin possible. Plus que quelques heures avant de rentrer chez moi et encore quelques années avant de partir d'ici. Mais pour l'instant, je ne dois pas penser à ça, seulement à mes cours, n'est-ce pas ? Pourquoi est-ce plus simple de se noyer dans le travail que d'affronter ses... démons ? Je préfère mettre mes écouteurs dans mes oreilles et vider ma tête en écoutant de la musique plutôt que de me prendre la tête maintenant. Surtout que j'entre à l'instant dans la cantine avec mon plateau en main, encore plus de regards dirigés vers moi, mais la mélodie qui murmure à mes oreilles me donne plus de force. Je regarde toutes les tables, espérant voir Kim qui m'attendrait avec un grand sourire qui me serait destiné, mais qu'est-ce que c'est beau de rêver. Je la trouve bien, mais entourée de personnes vraiment peu fréquentables, encore moins pour quelqu'un comme moi.

    Plus loin, une table est vide. Je m'approche donc d'elle, mais avant que je puisse l'atteindre, une fille me barre violemment la route en poussant mon plateau, renversant son contenu entièrement sur moi et mes écouteurs qui tombent par terre. Le regard de certaines personnes qui ne m'avaient pas encore remarqué se tourne vers moi, rempli de jugement et de moquerie. Mon plateau, désormais vide, tombe sur le sol juste avant que je ressente une sorte de poussée d'adrénaline monter en moi. J'attrape alors une assiette remplie posée sur la table à côté et je vide son contenu sur la chevelure brune de cette fille qui vient de me faire honte devant plus de la moitié du lycée.

-Mais ça va pas ?! T'es complètement folle, putain !

    La sauce tomate et les pâtes dégoulinent sur son visage, ses cheveux et ses vêtements, et je dois avouer que c'est assez drôle. Le bruit autour de moi augmente, la foule s'agite, les moqueries et les remarques fusent dans le réfectoire, et mon sang redescend accompagné de l'adrénaline pour laisser place à une sensation lourde mais aussi creuse dans mon ventre et ma gorge. Une forte envie de vomir me prend lorsque j'entends quelqu'un derrière moi dire que je ne suis qu'une malade. Sans que je ne contrôle rien, mes jambes m'emmènent en courant hors du self, jusqu'aux toilettes.

Julian :

    Dès que je vois Charlie partir en courant alors que les rires et les moqueries ne font que se multiplier, je me lève en prenant au passage une cruche d'eau et je m'arrête devant cette fille.

-Une tarée ! Et en plus elle se la joue victime !

-Eh ?!

    Elle se tourne vers moi et au même moment, je lui vide la cruche d'eau sur la tête.

-Ça enlèvera peut-être toute la peinture que ta sur ta tête de pouffiasse !

    Je me tourne vers les autres. Ils sont tous là, immobiles, sans aucune réaction. Pas un seul pour essayer d'aider une simple innocente. Aucun qui possède la moindre once d'intelligence. Je préfère encore essayer de retrouver Charlie que de parler ou faire quoi que ce soit avec eux. Pas près de la bibliothèque, ni à l'intérieur. Dans les couloirs, aucune trace d'elle... Peut-être qu'elle est dehors.
    Gagné. Elle est assise sur un banc dans un coin tranquille, ses écouteurs toujours dans les oreilles et un livre ou un carnet dans les mains.

-Hey.

    Sa tête se lève vers moi et mon regard vient s'accrocher au sien au moment où elle retire ses écouteurs.

-Qu'est-ce que tu fais ici ?

-Je suis venu voir comment tu allais. J'ai vu ce qu'il s'est passé au self et...

-Qu'est-ce que tu veux ?

-Hein ?

-Tu m'aides, tu me surveilles dans les couloirs et en cours, et là tu viens voir comment je vais. Donc je te demande ce que tu me veux ?

    Je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'elle me demande ça. Mais si elle veut savoir, je vais lui dire. Je cherche son poème que j'ai soigneusement rangé dans mon sac.

-Comment tu...

-Ne pense pas que je te les ai volés, tu les as oubliés dans la salle la dernière fois quand tu es tombée et je les ai ramassés et oublié de te les rendre... Pour revenir à ta question, je veux simplement t'aider. Je les ai lus et j'ai compris ce que ça voulait réellement dire. L'entre ligne, je veux dire.

-Essaie pas d'être gentil avec moi, ça ne sert à rien...

-Tu ne me crois pas, c'est ça ?

-Pourquoi je te croirais, toi et tes belles paroles ? C'est si simple de jouer les acteurs pour arriver à notre but.

-Je n'ai aucun but malsain envers toi, Charlie. Je veux juste t'aider et essayer que la justice soit remise dans ce lycée de merde.

-Je te conseillerais surtout de partir d'ici, tu gagneras ton temps.

-Tu ne fais confiance à personne, c'est ça ?

-À quoi ça sert de toute façon...

    Je l'examine du regard. C'est vrai que dans son cas, je la comprends. Pourquoi faire confiance à un humain ? Mais elle, j'ai envie de lui donner plus que ma confiance. Et je suis bien décidé à tout essayer pour me rapprocher d'elle. Je retire mon pull pour le lui tendre.

-T'as raison, l'être humain est une race dégueulasse en qui on ne peut pas avoir confiance.

-Qu'est-ce que tu fais ? Remets ton pull.

-Mets-le, tu es pleine de sauce tomate et trempée, tu risques d'être malade si tu restes dehors comme ça.

    Elle enfile mon pull en me parlant et range sa feuille dans son carnet qu'elle met dans son sac.

-Tu pourrais très bien être comme tous ces moutons et juste suivre le mouvement pour ne pas te faire remarquer.

Suis moi, je t'en prie.Where stories live. Discover now