Prologue

224 20 3
                                    

Les Mouettes aux Ailes Rouges ne provenaient ni de légendes ni de contes d'horreur. Elles existaient.

Leur nom, cependant, n'était qu'une façon de poétiser la réalité qu'elles provoquaient.

Mais rien ne pouvait dissimuler la mort.

On racontait qu'en-dessous de la mer qu'elles survolaient se cachait un trésor dont elles étaient les gardiennes. Perchées sur la pierre tranchante des falaises, elles attendaient quiconque oserait s'aventurer sur les flots. Mais rare se faisaient les courageux voyageurs.

Un homme cependant brava la peur, le froid mordant de l'eau, et les rires stridents de toutes ces ombres rouges. Guidé par l'enivrante promesse d'une montagne d'or, il plongea sans la moindre hésitation — une corde autour de la taille ; sa barque flottant au-dessous du cercle que les mouettes se mirent à former.

Et tandis que le plongeur se laissa petit à petit engloutir par l'océan, un curieux spectateur se tint depuis le début sur la côte ; sa silhouette cachée entre les pins tordus des hauteurs.

Le souffle silencieux, les yeux attentifs, il manqua de peu de tomber dans le vide lorsqu'il vit les oiseaux s'abattre à toute vitesse en direction du nageur et de son bateau. Telles des flèches prêtes à transpercer la chair, elles foncèrent à la surface de l'eau.

Le voyeur, apercevant le pire, se serait alors précipité vers un meilleur point de vue. Mais à peine aurait-il eu le temps de se positionner que les Ailes Rouges arrachèrent au seul courageux un puissant cri ; un son perçant qui ne dura qu'un instant.

Le curieux se pencha de nouveau pour mieux voir, et seule la corde réapparut.

Les mouettes, agglutinées sur la barque, regardèrent l'objet flotter dans un silence étrange.

Sans écume ni vague, l'eau retrouva son calme.

Et sa robe devint pourpre.

Ce qui n'était au départ n'était qu'un sombre conte répété au sein d'un village se transforma peu à peu en légende connue de tous.

Le témoin devint célèbre pour son histoire, et damné pour la peur qu'il colporta. L'île entière avait entendu parler du premier — et dernier — plongeur de la grande Baie d'Allin. On la croyait maudite, et on ne cessait de blâmer la région et ses hommes d'avoir répandu sa malédiction.


Le froid devenant plus assassin, la faim se montrant plus meurtrière, les générations finirent par déserter le rivage des Mouettes aux Ailes Rouges, convaincues de ne subir que les conséquences d'un mauvais sort sans fin. Tous le savaient : quelque chose au bord des côtes appelait à la mort.

Au-delà de la baie, il y avait l'immense campagne et ses villages, des plaines infinies, et les dangereux rivages des autres mers. Au centre ; la ville et son impénétrable forteresse — une véritable citadelle loin de la mer que gouvernait un roi et sa cour.

Mais le village de Jana ne céda pas à la terreur. Les Ja ne connurent jamais autre endroit que le rivage de l'île de Jiha. Des générations entières furent bâties sur les cendres de leurs ancêtres, sur les derniers pas de leurs défunts tombés à la mer.

Bien que personne n'osait plus s'aventurer sur la baie, la peur que celle-ci procurait ne vint que renforcer les légendes et l'identité de cette terre.

On craignait sa brume, sa profondeur et ses ailes rouges. Mais on adorait proclamer venir de celle-ci. Cela faisait de vous quelqu'un d'un peu plus brave, de plus mystérieux...

Ou de plus maudit que la moyenne.

Les Ja vivaient modestement. Chasse, agriculture, et élevage rythmaient le quotidien de la communauté. On connaissait la région pour ses incroyables chevaux, et Jiha en avait fait sa principale richesse.

Les Mouettes aux Ailes RougesWhere stories live. Discover now