14. Le Saule Pleureur

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XIV.

Seule et silencieuse, elle sillonnait les rues désertes d'Elgara et se fondait dans la nuit.

Sa robe, en lambeaux, couleur blanc fumé, demeurait malgré tout spectaculaire. Parsemée de détails ondulés cousu du haut de son corps jusqu'au bout de sa longue traine, l'une de ses épaules était couverte de loques claires qui virevoltaient dans le vent. Le reste de son buste était dissimulé sous un bandeau en tissus usé, abondement effiloché, et sculptait sa poitrine et la naissance de sa taille.

Pieds nus, le regard humide et vide, la jeune femme s'aventurait dans la ville sans un bruit. Ses cheveux, atrocement longs et noirs, étaient mouillés et gouttaient le long de ses tempes.

Alors, elle posa une main contre les murs qui défilaient à côté d'elle et fit glisser le bout de ses doigts avec lenteur. De son toucher elle marqua les briques d'intenses traces charbon, corrosives. Son passage laissa son ombre sur les façades des maisons, comme si elle imprimait sa présence sur Elgara.

Tel un serpent enduit d'une encre noire indélébile, elle posa son sceau partout autour d'elle.

L'incantatrice des Collecteurs... !

Des murmures s'élevèrent autour d'elle, le vent soulevant ses mots venus d'ailleurs, et ils se mirent à la suivre.

L'incantatrice des Collecteurs... !

Sa lente et chimérique silhouette gagna l'une des rues principales de la cité et elle s'arrêta finalement.

— L'incantatrice doit voir !

Les voix s'intensifièrent d'une force qui la fit frémir. Mais elle ne bougea pas et regarda droit devant elle.

Il y avait un garçon, l'un de ces innombrables orphelins, et il s'approcha d'elle d'abord sans crainte.

Ansol, dit-il.

Dressée devant lui telle une statue divine venue d'ailleurs, il la scrutait avec intensité, ses yeux captivés par le visage de celle-ci.

Immobile, le petit inconnu était absorbé par la vision céleste qu'il voyait si clairement. La nuit les enveloppait tous les deux.

— Toi... La fille du Deux et du mal, continua-t-il.

Il s'empara alors de sa main.

— Il arrive, tu sais.

Ansol qui depuis le début était dans un état presque léthargique parut tout à coup se réveiller de sa transe et vit ce garçon face à elle. Mais il lui était impossible de faire le moindre mouvement.

Il ? Qui ça !? se dit-elle.

— Ton mal, voyons, répondit-il d'une petite voix, comme s'il l'avait entendu. Celui qui te colle à la peau depuis toujours.

Et sans qu'elle ne puisse prononcer ou penser quoi que ce soit de plus, elle tendit son autre main jusqu'à lui et enveloppa la joue du garçon.

Au contact, celui-ci parut tout à coup voir quelque chose d'effroyable et son calme disparut.

Ses yeux grands ouverts et déjà bordés de larmes, il contemplait ceux d'Ansol avec horreur. Anormalement larges et couverts d'une une fumée occulte, ils consumèrent l'âme de l'orphelin.

Bientôt, sa figure se tâcha d'une marque noire qui lui durcit la peau.

Il voulut hurler face à elle, mais il n'y parvint pas. La tâche grimpa sur son visage et vint figer son expression. Il pleurait sans un mot, sa minuscule mine crispée d'effroi, et ne put se défaire de la funeste emprise.

Les Mouettes aux Ailes RougesWhere stories live. Discover now