23. Dans le cri des tempêtes

124 19 6
                                    


XXIII.

Ansol entendit avec effroi les cris de Suresha. Elle vit son titan lui couper les mains et l'horrible vision ne quittait déjà plus son esprit. La douleur était forcément pire que cette flèche dans son épaule. Comment arrivait-il encore crier ? Pouvait-on ressentir pareille souffrance sans mourir sur-le-champ ?!

Les hurlements de Suresha s'étouffèrent dans son agonie et elle reposa les yeux face au sol. À genoux sur l'herbe morte, il fallait qu'elle agisse vite. Qu'elle se débarrasse de ce projectile.

On l'avait embroché comme du bétail. La pointe avait troué sa peau, troué sa carapace. Pendant un moment, elle eut l'impression d'avoir été mise à nu. On la força à se plier, à se montrer vulnérable aux yeux de tous. N'importe qui pouvait l'atteindre.

Ils arrivent Ils arrivent Ils arrivent.

Elle souleva avec précaution ses mains devant elle. Le mouvement la fit grimacer mais elle n'arrêta pas. Ansol posa ses doigts sur le bout de la flèche en métal et inspira. Les extrémités de la pointe, taillées en dents de scie, risquaient de tout lui arracher de l'intérieur. Il fallait qu'elle tire dessus par l'avant, qu'elle fasse passer la longue tige à travers son trou.

La voix du roi fait écho au loin mais elle l'ignora. Concentrée, le cœur battant à tout rompre, elle retira lentement la flèche et gémit entre ses dents.

Elle ne s'arrêta pas, ne voulut pas faire durer la torture. Alors, elle fit glisser la tige dans un seul et long mouvement et ses gémissements devirent des grognements féroces.

Elle sentit les fausses plumes en fer la traverser, la tirailler au plus profond d'elle. Et dans une seconde qui lui parut une éternité, elle l'expira d'un coup ; le trou de son épaule enfin vide, libre.

Putain de flèche.

Ansol la jeta à terre et redoubla d'effort pour ne pas s'effondrer. Son mental devait prendre le dessus.

Ignorant tant bien que mal le feu mordant le sommet de son bras, elle bougea rapidement et ôta son sac.

Putain de flèche, se répétait-elle en serrant des dents. L'alchimiste se raidit d'un coup au son de toutes ces voix hurlant depuis la mer. Quelque chose venait de surgir et—

Ne pas se laisser distraire. Garder de vue son objectif.

Survivre.

Elle vida nerveusement sa besace au sol, son carnet et ses poisons s'étalant sous ses yeux, et s'empara de l'un deux.

Ansol ouvrit le flacon à l'aide de sa bouche et le versa négligemment contre sa plaie ouverte.

Impossible cette fois de retenir son cri. L'absinthe, pure, d'un vert terriblement acide, était son poison le plus doux — l'unique à cet instant capable de désinfecter et d'assainir sa plaie. Mais son touché était des plus acerbes.

Elle réitéra son geste de chaque côté de sa plaie et avala les dernières gorgées pour se tenir éveillée.

Ansol devait se redresser et courir. Il n'y avait pas le temps de—

Au son du galop fonçant sur elle, elle fit volte-face et aperçut Shiu se précipiter dans sa direction.

Le visage découvert, le sourire aux lèvres, il fonça sur elle à toute vitesse et sa lourde main de fer l'attrapa en plein vol.

Sa solide poigne l'arracha du sol et elle fut prise dans son élan.

— Je te tiens.

Ansol hurla de douleur, sa blessure complètement écrasée par la force d'acier du cavalier. Elle fut entraînée dans sa course, son dos plaqué contre le flan du cheval, ses pieds frôlant le sol et l'herbe.

Les Mouettes aux Ailes RougesWhere stories live. Discover now