4. Peur Bleue

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IV.

— Et comment comptes-tu me payer, hein !? C'est ton deuxième verre et j'attends toujours tes pièces !

Ansol regarda le gérant droit dans les yeux mais ne répondit pas. Elle réfléchissait longuement.

— Je le savais, reprit aussitôt celui-ci en lui prenant sa boisson des mains. Les voyageurs de ton genre ne sont jamais...

— Allons, mon ami ! C'est moi qui paye la note la mademoiselle. Ne t'en fais plus.

Ansol se tourna aussitôt vers cette nouvelle personne venue s'asseoir. Tous les deux face au bar, elle l'observa avec appréhension, visiblement seule consciente du nouveau danger qui la guettait.

— Hey ! Que crois-tu faire !? s'énerva aussitôt le gérant en le pointant du doigt. Pas de couple à mes tables ! Je ne veux pas de problème dans ma taverne !

— Ce ne sont que des croyances stupides ! s'offusqua le client près d'Ansol en ricanant comme pour dédramatiser.

Immédiatement, l'homme de l'autre côté du bar s'approcha avec colère. Mais on l'appela soudain au loin pour passer commande et il se stoppa en marmonna une insulte. Ansol serra la mâchoire.

Des croyances stupides...

— Que l'un de vous dégage et vite ! lança celui-ci tout en les désignant tous les deux.

Ansol dévisagea l'inconnu près d'elle avec insistance comme pour lui signifier de partir. Après tout, elle était là avant.

— Je ne savais pas que cette taverne pouvait attirer d'aussi jolies voyageuses, continua l'homme en s'approchant pour trinquer, sa grosse blouse grise tâchée de terre traînant sur le comptoir.

Il fit délibérément mine de ne pas comprendre la situation et lui sourit. Ansol reprit son verre mais ne répondit pas à son geste.

Loin d'elle l'envie de faire de nouvelles connaissances. Elle n'aimait pas la mauvaise compagnie, encore moins celle de personnage bruyants ou arrogants comme celui-ci.

Tous ceux qui venaient lui adresser la parole finissaient un moment ou un autre par l'ennuyer, par l'effrayer. Ansol était convaincue de se suffire à elle-même.

Mais l'inconnu venait de payer et... de lui éviter de nouveaux ennuis. Alors, par crainte de représailles, elle hocha poliment la tête dans sa direction et but son verre d'une traite.

— Je commence à croire qu'on t'a arraché la langue.

— Merci, lâcha finalement Ansol en détournant le regard.

— Je n'ai jamais vu d'aussi longs cheveux, fit-il en rapprochant son siège pour mieux la voir.

Particulièrement craintive face à la curiosité et au regard des autres, la jeune fille se referma à nouveau dans le silence. Et si on la reconnaissait ? Et si toute cette situation n'était pas un hasard ? Et si cet homme était venu la chercher !?

Ansol ferma les yeux et tenta de chasser ces énièmes pensées intrusives.

Tout était loin. Rien de ce qu'elle était il y a deux ans n'était visible aujourd'hui. Personne ne pouvait l'atteindre, ni même l'identifier.

Autrefois facilement prise pour un garçon, Ansol, maintenant dix-neuf ans, avait repris possession d'elle-même et avait fait en sorte de ne plus jamais ressembler à ce fantôme du passé.

Ses cheveux, ondulés, plus noirs que le charbon, étaient regroupés dans plusieurs attaches. Une grosse mèche entourait la totalité de ses cheveux à l'arrière et formait un serrage solide presque invisible. Son front était dégagé par un semblant de bandeau constitué de fines tresses dont certaines mèches ne restaient pas en place et lui tombaient derrière les oreilles. Sa peau auparavant couverte de crasse et de petits bleus avait repris sa couleur normale. Légèrement halé par le soleil, son teint était lisse. Son regard brun n'était plus aussi terne et son expression avait repris de la lumière. Seule demeurait sa cicatrice sur son œil ; seul souvenir visible de la haine des esprits de son passé.

Les Mouettes aux Ailes RougesWhere stories live. Discover now