17. Immoral, Docile, Désinvolte et Acharné

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XVII.


— Son état n'a jamais été aussi inquiétant, mon Seigneur, fit tout bas l'un des médecins. Je sais que le moment n'est pas le bon, mais... Nous devrions entamer les débats concernant la succession.

Cesyll ne répondit pas et regardait le roi d'un air grave.

La santé de Poseus s'était brusquement empirée et tous craignaient sa mort. Les alchimistes s'étaient réunis autour de son lit. Tout le monde s'était regroupé dans son immense chambre. Le château entier avait son attention rivée sur lui.

La respiration lente et bruyante, il était allongé, les yeux clos. Son crâne d'or brillait à la lumière des lustres et ses lèvres, entrouvertes et atrocement sèches, laissaient entendre sa faible voix. Il récitait quelque chose et se parlait à lui-même. Ses mots n'étaient pas d'une langue commune. Sa bouche n'articulait pas des choses bonnes à dire. Mais peu d'entre eux comprenaient le sens de la magie qu'il murmurait. Légèrement agité, il remuait doucement la tête et les mains. Le roi délirait.

— Où est Enki ? s'agaça Suresha en se postant auprès de Cesyll.

Il ne répondit toujours pas. Bien trop absorbé par ses envahissantes pensées, le soldat était anxieux. La situation ne pouvait être plus mauvaise.

D'un côté, on murmurait les éventuelles causes à l'origine de cette soudaine dégradation. De l'autre, on craignait la prise de position précipitée d'un nouveau souverain.

Car si le roi venait à mourir, l'un des Collecteurs allait prendre sa place.

N'ayant conçu aucune descendance, Poseus n'avait autour de lui que ses géants de fer ; ses quatre fidèles serviteurs qui traversèrent le temps avec lui.

Mais Cesyll refusait d'y réfléchir davantage. Si le roi disparaissait, cela marquait la fin de son étude, de sa quête. La fin de tout.

Une fois l'un de ses confrères couronné, sa protection n'était plus garantie. Les Collecteurs étaient des chiens fous ; enragés de se côtoyer depuis tant d'années. Leur éternel lien, tachés par les litres de sang versés, maudit par les cris des amoureux du chiffre, était devenu un fardeau.

La jalousie du premier nourrissait le mépris du second. La perversion de l'un cultivait la haine de l'autre. Poseus comme unique médiateur, sa disparition allait provoquer un véritable raz-de-marée.

— Sortez tous, fit soudain Cesyll à voix haute.

Les alchimistes le dévisagèrent un instant. Suresha, désormais rejoint par Shiu, ne dirent rien et se contentèrent d'observer le lit du malade. Et après quelques secondes d'hésitation, tout le monde finit par quitter la grande chambre.

— Où est ce bâtard d'Enki ? cracha soudain Cesyll au moment où les portes se refermèrent.

— Pas dans ses quartiers, dit Shiu simplement en approchant Poseus.

— Il faut qu'il soit là, lui répondit aussitôt Suresha sur un ton agacé. Lucide ou ivre, peu importe. On a besoin de lui ! Il faut le trouver !

Shiu se retourna face à lui et ôta ses gants en cuir noirs.

— Trouve-le toi même, fit celui-ci en le dévisageant, appréciant peu son ton. Je ne cours pas après les chiens errants.

— La réserve est vide et le temps presse, reprit Cesyll en s'emparant d'un petit vase laissée par une servante. Il faut lui donner de quoi tenir.

— Et si la chasse ne donne à nouveau rien !? répliqua Suresha.

Il était tendu. Peut-être plus que les autres. Parmi les quatre géants de fer, il était celui qui n'était que trop sage.

Les Mouettes aux Ailes RougesWhere stories live. Discover now