12. Ahsan

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XII.

Donjon d'Elgara, un peu moins de deux siècles plus tôt.

L'alchimiste se tenait debout face à son établi, ses mains couvertes de sang levées devant lui.

Tandis que dans les rues on fêtait le couronnement du nouveau et jeune roi, l'homme s'était enfermé dans son laboratoire. La nuit était bruyante, les rues bondées de monde, et tous s'adonnaient aux plaisirs variés de la fête. Beuverie, banquets extravagants, danse et luxure ; l'ascension du nouveau souverain donnait excuse à toutes activités.

Et dans ce noir agité, la lune fut pleine et rouge. Rouge d'un sang occulte et sacré. Et l'alchimiste tenait entre ses mains la vie. Mais celle-ci demeura quelques instants silencieuse. Les bras tremblants, il se recula doucement et observait avec éternelle fascination le fruit de sa création.

L'enfant était né bien trop tôt, bien plus en avance qu'un simple prématuré. Et pourtant il était là, de taille normale, parfaitement constitué. Mais il ne bougeait toujours pas.

L'homme s'empressa de lui essuyer le visage d'un chiffon pour le nettoyer, pour l'aider à respirer, mais rien ne se passa.

Déconcerté, il jeta un dernier regard à sa génitrice. Allongée sur l'établi du savant, elle était morte.

Il l'avait recueilli deux mois plus tôt près d'un bordel à l'entrée de la ville. Elle était seule, sans but et il en profita. Rusé et manipulateur, il promit de donner un nouveau sens à sa vie et elle y cru.

Certains diront qu'il la condamna à endurer le pire de sa folie. D'autres verront chez l'homme un pur acte de génie, une démonstration de la plus complexe des sciences.

La jeune femme résida près de lui dans une cellule accordée par l'ancien roi. De là, il put veiller sur son expérience. Plus précieuse que tout, elle était la seule à avoir survécu aussi longtemps.

Contrairement au reste du monde, il ne l'aimait pas pour son esprit ni sa beauté. Il l'adorait pour sa compatibilité, pour sa parfaite harmonie avec l'être qu'il faisait désormais grandir en elle.

Elle ne cria que deux fois. Et lorsqu'il prit le nourrisson dans ses bras, un garçon, il en eut la plus grande frayeur de sa vie. Car il avait réussi. Son pouvoir était immense, si réel et palpable qu'il en eu soudainement peur.

Mais le nouveau-né ne respirait toujours pas. De plus en plus paniqué, il observa sa figure sans lumière et eut un nouvel élan de génie.

Il quitta précipitamment son donjon, sa silhouette dévalant à toute vitesse les escaliers de sa tour, et rejoignit les chambres royales.

Tout le monde était à la fête et personne n'avait encore rejoint leurs quartiers. Il pénétra dans l'un d'eux et s'approcha prudemment.

Doucement, il retira le linge venu entourer le petit corps et plongea l'enfant dans le bain devenu froid de ce dortoir. L'alchimiste posa sa petite tête contre le fond de la vasque et il retira lentement ses mains.

Alors, il attendit. Encore et encore. Et tandis qu'il se mit à subitement regretter son geste, persuadé de l'avoir condamné à coup sûr, il vit soudain son minuscule visage bouger. Sa bouche esquissa une faible risette et son nez se fronça.

L'homme se laissa violemment retomber en arrière et s'assieds à terre, incapable d'y croire.

Son instinct était bon. Il l'avait toujours été. Et lorsqu'il se repencha par-dessus la baignoire pour de nouveau le voir, il aperçut sa nouvelle expression et ses étranges yeux ; totalement semblables à ceux de la créature.

Les Mouettes aux Ailes RougesDär berättelser lever. Upptäck nu