CHAPITRE 8 : AILES

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EVA —  10 ans

— Papa ! Je crie, en me précipitant vers lui.

Mon père m'ouvre grand ses bras. Je m'y réfugie, un large sourire aux lèvres. Sa grande carrure m'encadre solidement. Je suis bien dans ses bras. Je me sens tellement heureuse lorsqu'il est là, qu'il n'est pas occupé par son boulot.

Je le serre tout près de moi.

— Maman elle est triste sans toi, tu sais.

Il me regarde, souris tristement. Ses cheveux volent dans le vent. J'aime ses traits fatigués, son petit sourire triste, sa peau abîmée par le soleil envoutant d'Italie. J'aime son rire, son sérieux, son humour. Sa mélancolie. Son regard tourné vers l'horizon, sa barbe bien entretenue.

J'aime mon père, comme un frère, un ami, un cousin, un grand père. Mon père est le pilier de mon existence.

Maman l'aime aussi. Mais elle l'aime en pleurant. Parce qu'elle s'est convaincue qu'il ne pense pas à nous. Mais c'est faux, je le sais.

Je sais qu'il est triste aussi.

— Moi aussi je suis triste sans elle. Mais je dois travailler, ma chérie.

— Maman aussi elle travaille. Elle rentre tard, du coup c'est tata qui me garde. Elle est méchante avec moi, tata. Elle me force à faire des dictées et à passer l'aspirateur pendant qu'elle regarde la télé. Toi tu m'aides pour faire mes devoirs. Elle me dit qu'il faut que je réfléchisse, que c'est simple. Moi je comprends pas tout. Toi, papa, tu sais tout. Mais t'es jamais là.

— Tu sais, je pense à vous tout le temps. Mais travailler, c'est ma raison de vivre.

— Je sais. Tu me le dis tout le temps, papa. Bref on va manger des pâtes parce que j'ai trop faim !

Il rit, et m'ouvre la portière. Je monte, lui aussi, il s'attache, moi aussi. Il met la clé dans le contact, démarre et roule. Je colle ma joue contre la vitre, regarde les paysages défiler. Un silence plane dans l'atmosphère. Un silence léger, reposant.

Je ferme les yeux.

Je me souviens.

Des papillons.

De la Sicile.

Du soleil.

De mon père.

Du sable.

De la mer.

De ma mère.

De mes châteaux de sable.

Des rires, des vacances, des soirées à la belle étoile, des glaces, de Rossella.

Je me réveille. Une énorme secousse vient me réveiller. La voiture est arrêtée. Une vive douleur me fait un mal de tête terrible. J'ouvre péniblement les yeux.

C'est passé comme une ombre éphémère.

Le sang, les airbags. La vitre brisée, la poignée tordue. La voiture dans le mur.

Un mur dur, froid. Solide. Qui a eu raison de nous. 

Doucement, comme une lente agonie, je sens mon monde s'écrouler. Les larmes brûlent mes yeux. Elle me consument, me révulsent. Me tuent. Parce que je n'arrive pas à regarder.

J'ai l'impression de mourir.

La panique. Elle me retourne l'estomac, me convulse et me fait trembler. Je suis noyée. Bloquée devant ce que je vois. 

EVAWhere stories live. Discover now