XXIV. La maison des souvenirs

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Kazuko

À dix-neuf heures tapantes, Mai débarque dans sa voiture d'étudiante. Elle baisse la fenêtre à ma hauteur, une paire de lunettes aux verres teintés sur le nez.

- En voiture.

- Ouais !

Je m'assois à sa droite, contente.

- Ça faisait combien de temps qu'on avait pas conduit ensemble ? Trois ans ? Quatre, peut-être ? hésitai-je.

Elle appuie sur l'accélérateur, et nous voilà parties.

- Cinq, depuis notre tour du pays après l'obtention de notre diplôme, me rappelle-t-elle. Et depuis tout ce temps, t'as pas trouvé moyen d'apprendre à conduire.

- Je ne pense pas être très bonne au volant de toute manière, songeai-je.

- Arrête de te sous-estimer !

- OK ! Ne crie pas !

Et c'est ainsi que commence notre chaotique voyage vers mon ancienne demeure. Très vite nous reprenons les bonnes vieilles habitudes. Le poste radio devient mes platines, la musique s'élève dans l'habitacle tandis que nous discutons à propos d'un sujet qui nous passionne toutes deux ; l'orphelinat.

- J'y suis retournée hier, et je me demande toujours si les animatrices ont quelque chose dans le crâne, râle-t-elle. Elles couraient partout et s'affolaient pour un rien. Les gamins avaient l'air plus responsables qu'elles, c'est dire ! Il va falloir que je fasse du tri dans le personnel avec mon père.

- Allons, tout le monde à droit à sa chance... tentai-je.

- Pas auprès de ces enfants. Ils ont besoin d'un accompagnement qualifié pour réapprendre à avancer.

- Tu dois avoir raison. Il faudrait d'ailleurs que je trouve le temps de m'y rendre aussi, songeai-je. Ça fait un moment que je n'y suis pas allée.

- Tu l'as dit ! Les gosses t'ont réclamée dès qu'ils m'ont vue. Ils m'ont presque jetée dehors en constatant que t'étais pas avec moi, grince Mai. Bonjour l'accueil !

- Ah bon ? m'étonnai-je.

Le regard sur la route, elle répond sans se détourner de sa conduite.

- Ces gamins t'adorent, Kazu. Mon père parle même de renommer l'établissement en ton honneur.

- Quoi ?! Non, M. le directeur ne ferait jamais une chose pareille !

- Pour les enfants, t'es la preuve vivante qu'ils pourront s'en sortir dans la vie, explique-t-elle. Les anciens animateurs leur parlent tout le temps de toi, tu sais. Tu es l'héroïne de l'orphelinat.

Les éloges me gênent au plus haut point, j'ai les joues en feu.

- Arrête de te moquer de moi, s'il te plaît...

Nous arrivons à la maison une demi-heure plus tard. Le cœur battant, je sors de la voiture pour me dresser devant la maison. Même avec mon bandeau sur les yeux, je reconnais ses attraits comme les premiers accords d'une chanson populaire. Je pousse le portail, la mousse gorgée d'eau amorti le son de mes pas en un bruit spongieux. J'inspire son odeur familière avec nostalgie. Cet endroit longtemps redouté comme le théâtre de mon plus grand malheur m'a plus manqué que je ne le pensais. La peinture crème de sa façade s'écaille par endroits, mais ses volets verts sont encore en bon état. La pelouse semée de petites fleurs a repris ses droits, la haie qui encadrait auparavant le petit jardin s'est développée, tant et si bien que ses feuillages viennent m'effleurer le visage lorsque que je passe près d'elle. Je monte sur le perron, la porte rendue austère par les années passées sans entretien semble me toiser de haut, comme pour me reprocher ma si longue absence. Avec des gestes mécaniques, je fais tourner la clé dans la serrure et pénètre dans le petit hall d'entrée. Les moutons gris s'envolent doucement à mes pieds, réveillés par mon arrivée silencieuse. Tout est devenu froid, les meubles ont disparus. Ils ont arraché son dernier souffle de vie à la maison de mon enfance. Mais pour mon enfant intérieur, rien n'a changé.

Chute d'étoile {Dabi x OC}Where stories live. Discover now