Trajet

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Je suis la dernière à monter dans l'aérojet. La porte se ferme derrière moi. Le moteur vrombit. Mon père pose sa main sur la vitre et je pose la mienne de l'autre côté. Nos regards se croisent et une larme échappe à ma détermination.

L'aérojet décolle.

Mon père recule et déjà, le parc et tout ce qui m'était familier s'éloigne. Mon cœur est déchiré: je suis profondément triste et en même temps très excitée. Les mêmes sentiments partagés sont inscrits sur le visage de mes compagnons. La cérémonie de remise de diplômes a fait de nous des adultes sur le papier mais c'est ce départ qui nous fait réellement grandir. Nous sommes seuls.

Le front appuyé contre la vitre, j'emmagasine les souvenirs des champs, des fermes, des collines. Puis un nouveau paysage, inconnu, apparaît.

Je suis déjà monté dans un des aérojets que mon père utilise pour son travail, mais il était loin d'être aussi sophistiqué et rapide. Il ne pouvait accueillir que 4 personnes et encore, il fallait se serrer. Dans celui-ci, on pourrait facilement tenir à 12. Les sièges sont confortables et à l'arrière, il y a même une petite cuisine. Si on se lève, on ne se cogne pas au plafond.

Je ne vois pas nos sacs et j'hésite un moment à demander à Michael où il les a mis, mais la place du conducteur est séparée des nôtres par une vitre. De plus, il a l'air concentré et c'est tant mieux. Si les aérojets sont prévus pour s'élever à 4 mètres, leur système de propulsion exige d'être en permanence en contact avec le sol. Pour peu que le véhicule passe au-dessus d'un trou ou d'une crevasse, le moteur s'arrête. Il est également difficile de les diriger au-dessus des étendues d'eau, c'est pourquoi la plupart sont équipés de bouées leur permettant de flotter.

-C'est la première fois que je monte dans un de ces engins, lance Monty.

Ses yeux reflètent une certaine inquiétude. Son père est un ouvrier d'irrigation et sa mère coud des couvertures en patchwork. Ce n'est pas étonnant qu'il n'ait jamais eu l'occasion de monter sur quoi que ce soit d'autre que son vélo. Jusqu'à aujourd'hui. Je penche la tête pour essayer de voir le symbole gravé sur son bracelet. Un triangle avec une flèche. Nous ne sommes pas dans le même groupe.

-Je crois qu'aucun d'entre nous n'est jamais monté dans un engin comme celui-ci, commence Clarke. À cette vitesse, on sera à Mount Weather avant la nuit.

-Tu crois? Tu penses qu'ils nous laisseront visiter la ville?

L'angoisse dans le regard de Monty est remplacée par de la curiosité.

-Sans doute pas avant que nous ayons passé le Test, répond Clarke. J'ai l'impression qu'ils vont nous tenir en laisse.

Elle donne une tape sur le dos de Monty en souriant et ajoute:

-Mais dès qu'on sera à l'université, on fera ce qu'on voudra, non? À nous la ville et les filles/garçons!

Monty lui rend son sourire.

-Toutes les filles ne tombent pas dans les bras des étudiants, le rembarre Niylah en rejetant sa crinière dorée en arrière.

Monty se recroqueville dans son siège mais Clarke se contente de rire. Après un moment, Clarke et Monty se mettent à parler de Mount Weather et à décrire les photos qu'ils ont vue de la ville où certains immeubles peuvent atteindre 10 étages. Niylah cesse de bouder et se joint à eux pour énumérer les œuvres d'art qu'elle aimerait voir.

Je ne suis pas étonnée que Clarke ait réussi à mettre tout le monde à l'aise. Pour ma part, je n'arrive pas à oublier que je suis la plus jeune. En classe, c'était pareil. Je ne levais la main que si j'étais sûr à 100% de ma réponse. Alors, je me contente de les écouter. Grande, châtaine et magnifique, Niylah dégage une assurance ombrageuse, mais quand elle parle d'art avec Monty, elle semble moins sur la défensive. Sa connaissance d'artistes morts depuis longtemps est surprenante. Clarke s'est mis un peu un retrait et se contente de glisser 1 ou 2 commentaires çà et là. Comme moi, elle observe, jauge les rires et les silences. Elle tourne la tête vers moi et remarque que je la regarde. Mes joues deviennent écarlates et je baisse les yeux. Clarke est habitué à être regardée, admirée même. La plupart des garçons de mon école passeraient la journée à la reluquer au lieu de se concentrer sur le tableau. Je n'en ai jamais vraiment eu l'occasion parce qu'elle était assise derrière moi, mais je ne suis pas aveugle. Comme les autres, je suis sensible à ses fossettes, et plus d'une fois j'ai eu envie de repousser cette mèche qui lui tombe sur son visage. Je n'en ai évidemment jamais eu le courage. Ce qui ne me pose pas de problème. Les filles et les sorties n'ont jamais été sur ma liste de priorités. Et là, ce n'est vraiment pas le moment. 

Le trio éclate de rire et bien que j'ai l'impression d'être mise à l'écart, j'essaie d'avoir l'air intéressée par leurs bavardages.

Niylah et Monty avouent ne pas avoir passé une très bonne nuit et après s'être étirés et avoir copieusement bâillé, ils se mettent en position pour dormir dans leur siège. Ils tombent presque aussitôt dans les bras de Morphée.

-Allons derrière pour ne pas les déranger, me murmure Clarke.

Les battements de mon cœur s'accélèrent un peu alors que je lui emboîte le pas. Nous explorons la cabine et je tombe sur un sachet contenant des fruits secs, du fromage et des biscottes. Puis je pousse la petite porte qui donne sur les toilettes.

Nous nous installons sur les sièges.

-C'est dingue de se dire qu'on a été choisis,lance Clarke en tournant une tranche de pomme séchée entre ses doigts.

Le symbole sur son bracelet est le même que le mien. Nous sommes dans le même groupe. Ma surprise et mon inquiétude doivent être visible parce qu'elle me demande si j'ai un problème. Je lui répète les explications de Michael. Et comme Monty et Niylah ronflent toujours, je décide d'être complètement honnête. Je soupire:

-Ça va être difficile d'être meilleur que toi.

-Tu rigoles, là?

Elle se redresse et se penche en avant pour me regarder de plus près. Finalement elle éclate de rire.

-Non, tu ne rigoles pas!

-Mlle Indra te considère comme la meilleure de la classe.

-Ça, c'est juste parce que la prof n'était pas là l'an dernier. Elle ne sait pas que c'est toi qui as fabriqué les générateurs éoliens que l'école utilise.

-Mon père m'a aidée.

Ce n'est pas de la fausse modestie. Je n'aurais jamais réussi sans lui. Je reprends:

-D'après lui, le système d'irrigation que tu as conçu va permettre de revitaliser des zones au-delà des limites de la colonie. C'est génial.

C'est à son tour d'hausser les épaules.

-Mon père a tout dessiné. J'ai juste ajouté une ou deux idées ici et là. Je ne dis pas que ce n'était pas important, mais je suis loin d'être la génie que Mlle Indra s'est entêtée à voir en moi toute l'année. J'ai l'impression qu'elle croyait que tous les élèves de Trikru étaient des demeurés. Sans doute parce que ça faisait des années qu'aucun n'avait été choisi pour le Test.

Je suis d'accord avec elle. Il est évident que Mlle Indra est arrivée à Trikru avec des idées préconçues. Les premiers temps, elle prenait soin de parler lentement en n'utilisant que des mots simples. On aurait dit qu'elle s'adressait à des gamins de 4 ans. Comme premier sujet de rédaction, elle nous a demandé de raconter ce que nous avions fait pendant nos vacances. Après ça, tout a changé et les cours sont devenus plus complexes. Je me demande maintenant si mon père n'avait pas raison hier soir. Peut-être que notre ancienne professeur faisait en sorte que les officiels de Mount Weather ne nous croient pas assez intelligents pour participer au Test. Mais pourquoi? Parce qu'elle ne voulait pas séparer les familles? Ou parce qu'elle pensait que le Test était dangereux ?
...
Vous avez regardé la série de the last of us ?

L'Élite tome 1Where stories live. Discover now