Chapitre 31

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Jilian s'assit sur les marches de l'escalier à côté d'elle pour prendre la mesure de ce qu'elle venait de dire.

— Enfuie ?

Il repensa à la dispute qui avait eu lieu lors du grand déjeuner, et à l'interdiction d'Andrea. Tout ça ne le concernait pas, et pourtant, les larmes d'Eden, comme l'état du couloir et la raideur de Seökh, démontraient une gravité qu'il ne saisissait pas.

— Quelles seront les conséquences ?

Eden renifla en secouant la tête, incapable de répondre, et Jilian se racla la gorge :

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Elle est partie sans moi.

— Tu aurais préféré qu'elle reste ? Je croyais qu'elle te faisait souffrir, que les morsures étaient de la-

— Justement ! Comment va-t-elle faire sans moi pour évacuer sa colère, sa souffrance, ses émotions ? s'affola-t-elle. C'est mon travail de l'aider !

— Ton travail ? En acceptant de te faire torturer ?

— Ce n'est pas de la torture, tu utilises des mots que tu ne connais pas. Notre rôle est de les servir, de tout leur donner.

— En devenant leur souffre-douleur ? Eden, est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? Elle n'a pas le droit de te faire sub-

— Madame Himari a besoin de moi, comme j'ai besoin d'elle. Je n'ai pas besoin de ta morale et de ta pitié, alors que tu fais exactement pareil !

— Ça n'a rien à voir !

— Que nous reste-il d'autre ? C'est pour ça qu'on est ici, non ?

Elle se remit à pleurer :

— Qu'est-ce que je vais devenir, sans elle ? Elle va se sentir seule...

Jilian ferma les yeux, contrarié. Cette conversation l'irritait. Il avait le désir de l'aider et de la consoler, mais il ne parvenait pas à la comprendre.

Ou peut-être la comprenait-il trop bien. Ce rapport en miroir le dérangeait. Il voyait en Eden ce qu'il ne voulait pas voir sur lui-même.

Ce qu'il ne voulait plus accepter.

— Tu dis qu'elle s'est enfuie, mais elle est peut-être simplement partie faire un tour, elle va revenir...

Eden secoua la tête, les yeux écarquillés.

— Non... Non, elle ne reviendra pas. Elle ne supportait plus ce manoir...

— Est-ce que tu sais où elle est allée ?

Elle se pinça les lèvres, les yeux fuyants, et il fronça les sourcils.

— Tu sais où elle est allée, n'est-ce pas ?

— Que faites-vous ici ?

Ümma arrivait dans leur direction. Elle poussait un chariot métallique de désinfectant, d'alcool et d'autres produits pharmaceutiques. Eden se jeta dans ses bras. La vieille femme échangea un regard avec Jilian avant qu'il ne se relève.

Il essuya la sueur qui lui coulait sur le front. Il était trempé et glacé. Une nausée s'était fichée dans sa gorge au point où il ne parvenait pas à déglutir.

— Je prends le relais, lui souffla Ümma.

Elle accompagna la jeune fille secouée de sanglots jusqu'au chariot, où elle lui fit avaler des pilules. Jilian ravala ses questions et s'éloigna, davantage par malaise que par volonté de leur laisser de l'intimité. Il ne se sentait pas en état de supporter d'autres non-dits, ou le mantra de la vieille femme qui lui signifierait que tout irait bien.

Le Manoir - Tome 1Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora