Chapitre 10

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Deux semaines passèrent, durant lesquelles Jilian ignorait si ce qu'il voyait était la réalité, ou s'il se trouvait dans un rêve éveillé. Pire, en plein délire.

Il n'avait pas le temps de répondre à cette question, car la moindre seconde de son temps était accaparée par le travail. Il avait l'habitude des tâches et du rendement, mais tout ici était différent. Il ne voyait pas la lumière du jour, ses journées duraient plus de douze heures. Le bouleversement de son rythme nycthéméral troublait son sommeil. Il avait parfois l'impression dérangeante de divaguer.

Quelque chose clochait avec cet endroit, il n'arrêtait pas de se le répéter. Il avait espéré que ces deux dernières semaines l'aideraient à comprendre davantage la nature de ces lieux et de ces individus qui y vivaient. Il n'avait obtenu aucune réponse. Ne restait que le sentiment d'un spectacle, d'une mise en scène, dont il ignorait ce qui se passait en coulisse.

À la place, il courait, partout, tout le temps, sans jamais parvenir à effectuer complètement ses tâches.

Depuis son premier jour, il n'était pas parvenu une seule fois à trouver l'organisation qu'Ümma lui avait promis. Le temps lui échappait et les tâches augmentaient, il avait la sensation que les individus qui habitaient ce lieu prenaient un malin plaisir à changer le rythme de leur nuit. Chaque journée était décousue, changeante, imprévisible

Le problème, c'était Téo.

Tout se passait comme s'il ne devait y avoir aucun moment de vide, de latence, au cours d'une même journée. Une bonne idée la première heure devenait négligée, voire ennuyeuse la suivante. D'une hyperactivité folle, Téo allait et venait dans le manoir, en quête de distraction. Le manoir possédait une multitude de pièces qui ne semblaient destinées qu'à ses loisirs.

Malheureusement, Jilian n'avait de cesse de courir d'un bout à l'autre de la demeure pour réaliser tous ses désirs. C'était dans ces moments-là, perdu, seul au milieu des couloirs, que revenaient le sentiment d'oppression et les ressentis angoissants qui le rendaient méfiant vis-à-vis de cet endroit.

Il n'avait pas oublié. Il ne voulait pas oublier les derniers mots que Max avait hurlés avant de s'enfuir, mais le temps passait, et la curiosité remplaçait l'inquiétude.

Avidité et fascination, voilà les deux termes qui le caractérisaient le mieux depuis quinze jours.

D'où venait la richesse de cet endroit ? Quels métiers ces gens exerçaient-iels ? Pourquoi avaient-iels choisi de vivre la nuit plutôt que le jour ? Dans quels endroits se rendaient-iels, lorsqu'iels quittaient le manoir, dans leurs grandes voitures de luxe à moteur, comme on n'en fabriquait plus aujourd'hui ?

Il se prenait d'admiration pour le piano noir de la chambre d'Ali, et pour les éléments de décor anciens des appartements de Téo. Jilian avait envie de toucher à tout, de tout découvrir, envieux de cette vie confortable, sans aucune autre angoisse que celle de savoir par quel moyen ludique occuper sa journée. Il se prenait de passion pour les œuvres d'art des couloirs ; les encadrements dorés des miroirs ; les statues taillées à même le marbre ; pour tous les éléments peints sur les plafonds ; et le travail de charpente qui tenait l'ensemble.

Et surtout, pour l'arbre qui poussait à l'intérieur du manoir. C'était sa plus grande obsession.

C'était Ali qui demandait régulièrement à venir le voir. Il s'agissait d'un grand arbre dont il ne voyait pas le sommet, au tronc épais, large comme dix hommes. Une cour en mosaïque était construite autour de lui et représentait le soleil et la lune, dans un dégradé d'orange, de jaune, puis d'un bleu cyan et de turquoise.

La nuit, les fleurs de l'arbre devenaient phosphorescentes et descendaient le long des branches, comme des larmes délicates. Le manoir était construit autour de cet être vénérable, qui ne se fanait jamais, embaumait la résidence d'un parfum délicieux et sucré.

Le Manoir - Tome 1Where stories live. Discover now