Chapitre 11

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Jilian tombait.

La porte de ses cauchemars s'était ouverte et les ténèbres avaient surgi pour l'agripper. De l'autre côté, il y avait un vide sans fin, et ses gestes étaient trop lents pour agripper les rebords de ce puits et ralentir sa chute. Il se sentait trop las pour crier, appeler des secours.

Il se contentait de tomber avec la certitude d'un châtiment éternel.

Pourtant, il atteignit le fond de l'abîme. Son dos s'enfonça dans une matière molle, sans odeur. Il ne distinguait rien d'autre que sa propre respiration. Au-dessus de lui subsistait la lumière d'une minuscule lucarne, pas plus grosse qu'une étoile seule dans une nuit noire.

Soudain, un bruissement lui parvint et il tourna la tête. Le sol sous ses doigts changea, devint piquant comme de l'herbe fraîchement coupée, mais agréable au toucher. Il plissa les yeux pour apercevoir un piano de bois clair et droit, aux touches abimées, et aux gravures et peintures effacées.

Il avait envie de sortir d'ici à présent, de ne plus rester dans ce rêve. Il ressentait la nécessité de vérifier que la réalité existait toujours, au-delà de ses songes.

Puis, il entendit un ricanement.

Un son net, amusé mais grave, qui se répéta jusqu'à ce qu'il parvienne à se redresser. Assis devant lui, dans sa position exacte, son reflet le contempla, le visage tiraillé par un rictus.

Autour d'eux, l'épais voile de ténèbres désépaississait, et révélait un décor morcelé. Une horloge d'un côté, le piano de l'autre et un escalier suspendu dans le vide, entre autres. Jilian ferma les yeux, perturbé par un vertige.

Lorsqu'il releva la tête une nouvelle fois, le reflet se tenait toujours là sans qu'aucun encadrement de miroir ne justifie sa présence. Jilian bougea ses jambes tendues devant lui et l'autre reproduisit son mouvement.

Une angoisse enfla pernicieusement dans son cœur. Un sentiment terrible. Il ne s'était jamais vu ainsi. Si c'était lui qu'il voyait, pourquoi son visage était-il barré de cette expression arrogante ?

Il toucha le rebord de son visage, tâtonna ses lèvres. Il ne souriait pas. L'autre, oui.

Ce n'était pas un reflet, mais une rencontre.

Quelque chose s'ébranla au fond de lui, mais il resta tétanisé, incapable de s'enfuir.

Brusquement, l'autre sortit de la poche de son pantalon une pomme rouge sang.

Cette expression, cette désinvolture, ce sourire immonde. C'était lui sans l'être, comme une version de lui-même qu'il ne voulait pas reconnaître.

La pire version.

Jilian avait le sentiment de contempler tout ce qu'il espérait désespérément ne pas être. Toutes ses émotions cachées, toute sa culpabilité, sa jalousie, sa malveillance, sa haine, sa rancœur, sa rébellion. Tout était là, incarné dans un reflet.

C'était pire que la prison.

L'autre croqua dans la pomme. Le bruit résonna dans un écho qui mit longtemps à disparaître. Jilian sentit un frisson le parcourir quand un liquide pourpre gicla et coula le long de son menton.

Rouge et noir, épais comme du sang.

Jilian eut envie de reculer, de s'enfuir, de se réveiller, mais la torpeur qui agissait sur ses membres le rendait hagard et fiévreux.

« Tu en auras mis du temps. »

« Je t'attendais. »

L'autre agissait comme un être à part entière, et Jilian cligna des yeux, abasourdi de l'entendre parler d'une voix traînante et moqueuse, bien plus grave que la sienne.

Le Manoir - Tome 1Where stories live. Discover now