Chapitre 26

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Jilian se retourna. Le tissu rêche des draps frotta contre ses plaies boursouflées et il grimaça.

Il n'arrivait pas à fermer l'œil, d'abord à cause de la douleur, et ensuite à cause d'une insomnie. Son corps trépignait d'une nouvelle morsure, il désirait revivre les sensations de volupté éprouvées lors de son étreinte avec Ézriel. Les yeux ouverts, il hallucinait ; revoyait la porte des appartements du vampire ; se rappelait de leur proximité si particulière ; de la sensation de son sang qui quittait ses veines ; de cette plénitude ressentie comme si on apaisait tous ses tourments.

Son corps en demandait encore maintenant que ses cauchemars revenaient le hanter. Son cerveau prenait un malin plaisir à lui révéler des images qu'il essayait de refouler. Plus il souffrirait, plus il désirerait avoir une morsure pour se tranquilliser.

Line apparaissait dans tous les moments de sa vie, d'enfant à jeune adolescente, puis à femme. Elle était vive, souriante puis désincarnée, démolie par l'amour, par l'emprise d'un compagnon violent. Jilian finissait par le voir à son tour. Ce type dont il voudrait oublier le visage et le nom. Son esprit ne coopérait pas, les images étaient imprimées sur sa rétine.

Ce type était responsable de sa mort. Il l'avait tellement dégradée psychologiquement qu'elle avait sauté du toit d'un immeuble pour ne plus jamais se réveiller. Jilian s'était rendu assoiffé de vengeance, il voulait le tuer, que justice soit faite quand cette dernière ne faisait pas consciencieusement son travail. Il avait réussi à le surprendre au travail, tandis qu'il terminait sa cigarette sur le rooftop de l'immeuble. Jilian l'avait menacé et l'autre s'était défendu.

Il n'oublierait jamais l'expression sur son visage quand la rambarde avait cédé. Il n'avait pas vraiment envisagé de le tuer, sa haine s'était dégonflée, blesser aurait suffi, lui donner une leçon aussi. Il n'était pas un meurtrier, il ne voulait pas le devenir.

Jusqu'à ce que la rambarde cède.

Depuis ce balcon avec vue sur la ville d'Änsy et ses buildings, il l'avait regardé trébucher, basculer en arrière et s'effondrer quinze étages plus bas. Il était mort comme elle, la boucle était bouclée.

Jilian se souviendrait pour toujours de cet instant de latence, de la peur sur le visage de l'autre. Il aurait pu agir, le rattraper, il aurait pu intervenir, essayer au moins de faire un geste pour le remonter.

Il ne l'avait pas fait.

Il ne lui était pas venu en aide.

Il l'avait regardé tomber.

Ça aurait pu être la sidération, mais Jilian savait que dans le fond, il avait fait le choix de ne pas l'aider. Il s'était laissé faire quand les forces de l'ordre l'avaient intercepté, il avait été conduit en prison, pour attendre un procès qui le reconnaîtrait coupable.

La culpabilité était vicieuse, elle s'immisçait dans tous les interstices de son esprit. Elle lui rappelait que toutes les morsures du monde ne lui feraient jamais oublier ce jour-là, où il ne l'avait pas tué, mais où il ne l'avait pas rattrapé.

Jilian se retourna une nouvelle fois dans le lit, et n'y tenant plus, il se leva. Ses jambes flageolèrent. Il avait froid, mais il transpirait comme en plein été. Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé ? Dormi plusieurs heures d'affilées ?

Il se désaltéra, mais rien ne parvint à éponger sa soif. Agité, il se mit à tourner dans les pièces comme un fou. Il crut qu'une nouvelle hallucination l'habitait quand il entendit des sanglots depuis la pièce à côté. Il tendit l'oreille. Eden pleurait-elle ou était-ce lui qui l'imaginait ?

Il tendit l'oreille et n'entendit que le silence. Confus, il se força à retourner dans le lit glacé, là où la lumière du jour s'engouffrait à travers les volets fermés.

Le Manoir - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant