Chapitre 22 : La racine du mal

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A cette heure stratégique, les rues d'Ewilem grouillaient de monde. Le soleil était à son zénith, et la faim creusait le ventre des shapeshifters qui arpentaient la place du marché des Kirins. Les auberges étaient bondées et les files d'attente devant les stands de nourriture ne s'arrêtaient plus.

La jeune Naari posait enfin ses pattes douloureuses dans la capitale. Elle avait marché depuis Ragnok, des jours durant, et tombait de fatigue. La jeune ocelot songea qu'elle aurait mieux fait de choisir sa forme équine ou humaine pour arpenter les rues, à voir les regards qui se posaient sur elle. Pourtant, elle avait décidé d'arborer fièrement son pelage qu'elle avait tant dissimulé.

Naari marchait donc dignement dans ces rues, bravant les regards envieux et belliqueux. Pourtant, ses pattes la menaient dans la même direction que la foule. Elle était affamée. Portée par son odorat, elle s'était retrouvée au beau milieu du marché, à loucher sur chaque met que présentait les stands. Mais Naari dû se rendre à l'évidence. Elle n'avait rien de valeur, rien qu'elle puisse échanger contre quoi que ce soit de comestible. Elle s'était donc décidé à ruser.

La jeune ocelot jeta son dévolu sur un stand peu fréquenté. La nourriture avait des chances d'y être mauvaise mais le marchand ne ferait pas la fine bouche devant une potentielle cliente. Naari huma l'air et un délicat fumet lui chatouilla le museau. Parmi les plats proposés, il y avait une marmite de porc au romarin, mijoté avec des champignons et des carottes sauvages. Naari se dressa sur ses pattes arrière et salua la cuisinière.

« Bonjour madame ! Je vais vous prendre une portion de ce porc en sauce s'il vous plaît ! »

La marchande sourit devant tant d'enthousiasme et entreprit de lui remplir un bol. Naari en saliva d'avance. Mais elle n'avait pas oublié son plan. Pour repartir, sans payer avec son butin, elle devait retrouver sa forme humaine, et s'emparer du plat en faisant mine de chercher de quoi payer dans son sac à dos. Cette technique avait marché un nombre incalculable de fois à Ragnok, il n'y avait pas de raison pour que les gens de la capitale soient plus méfiants.

Afin de détourner l'attention, Naari se mit à causer avec la cuisinière. Elle baragouinait qu'elle était une vendeuse d'antiquités itinérante et que sa mission de la matinée l'avait affamée. Ce faisant, elle avait retrouvé sa forme humaine, prétextant avoir besoin de ses mains de bipède pour ouvrir son sac. Mais alors qu'elle se tournait vers son paquetage, tendant avec espoir sa main vers le plat, la marchande poussa un cri d'horreur.

La technique avait fait ses preuves à Ragnok, mais Naari avait ici négligé un détail. Les fois précédentes, elle arrivait préalablement transformée, habillée donc. Hors, ici, elle était nue comme un ver.

La cuisinière avait glapit en découvrant la silhouette de Naari, car, juste au-dessus de son genou, poussait une bande de fourrure pareille à son pelage équin. Sa marque d'impureté. Lorsqu'elle en prit conscience, le cœur de Naari cessa de battre.

D'autres passant s'arrêtèrent, certains avec une moue écœurée, d'autres apeurée. Le monde se mit à tourner autour de Naari. Sa négligence venait de la condamner. Pétrifiée, elle voyait qu'on la pointait du doigt, que les gens s'écartaient à sa vue. Mais soudain, on lui attrapa fermement le bras.

« Tu sais pas que les sang-mêlés sont interdits aux heures d'affluences ? Dégage, tu vas faire pourrir la nourriture. »

Naari laissa échapper un cri d'horreur devant le visage de cet homme qui lui broyait le bras. Elle essaya de se dégager et s'arc-bouta. Le type la lâcha, et elle se cogna contre le stand, faisant valser les casseroles. Horrifiée, la femme se mit hurler aux gardes. Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'on vienne l'attraper pour la jeter aux cachots.

Legend of Shapeshifters (T1)Where stories live. Discover now