Chapitre 3 : Petite pomme de pin

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Seulement de passage dans la région d'Ewilem, Elv faisait ce qu'elle aimait : repousser ses limites.

La petite belette rousse avait songé qu'avec sa légèreté, elle pouvait facilement jouer les acrobates et imiter les écureuils. Ainsi, Elv galopait dans les arbres, sautait de branche en branche. Elle arriva bien vite dans les criques qui bordaient la capitale. Ici, en plus des chênes et des hêtres, s'élevaient de grands pins, ployés par le vent. Depuis leurs branchages, on pouvait observer l'eau bleue venir lécher la pierre blanche des reliefs.

Elv s'arrêta pour reprendre son souffle. Elle se figea brusquement. Ses oreilles avaient capté un bruit insignifiant, un souffle régulier, différent de celui du vent. Elle baissa la tête vers le sol et aperçut, entre les branches, un énorme tigre, allongé sur les quelques brins d'herbe de la plage rocheuse. Un frisson secoua d'abord ses entrailles. Baignés par le soleil, les griffes et les crocs du prédateur brillaient d'un éclat dangereux. Pourtant, les yeux clos, le corps du félin se soulevait au rythme de sa respiration. Dormait-il ? Un sourire béat se dessina sur les babines d'Elv. Depuis son perchoir, elle pouvait bien rire de la paresse du prédateur. Elle arracha son regard de ses rayures noires et poursuivit sa route.

Après quelques sauts, la shapeshifter s'arrêta de nouveau. En face d'elle, un arbre lui présentait un autre défi. Si elle voulait atteindre ses branches et ainsi poursuivre son jeu, Elv devait accomplir un gigantesque saut, une prouesse. La voix de la raison lui criait de descendre de ce chêne et de continuer sa route au sol. Le risque était trop grand car si elle n'atteignait pas la branche, elle chuterait dans le vide et atterrirait dans la gueule du tigre. Mais là était le problème : Elv n'écoutait que rarement sa raison.

Elle s'élança sans hésiter et sauta au-dessus du vide. La vent siffla à ses oreilles. Flottante dans les airs, elle se rapprocha de la branche. Galvanisée par son exploit, elle tendit une patte. Ses griffes se plantèrent dans le bois mais le sourire de la belette disparut soudain. La brindille qu'elle avait agrippé se pliait sous son poids. Ses petites griffes, accrochées tant bien que mal à l'écorce, glissèrent. Elle laissa échapper un petit gémissement plaintif et chuta.

Le paysage défila à une allure fulgurante devant ses yeux affolés. Le petit mammifère toucha le sol mais quelque chose amortit sa chute. Sonnée, elle ouvrit les yeux et soudain son cœur s'affola. Elle avait rebondi sur le ventre de l'énorme tigre. Elle était tombée de bien haut, et, ironiquement, elle avait eu de la chance que le félin se soit trouvé là. En son for intérieur, pétrifiée de peur, Elv priait pour qu'il ne se réveille pas.

Le temps sembla se dilater. Lentement, le tigre entrouvrit une paupière, dévoilant des iris bleus comme le ciel d'hiver. Elv n'osa plus bouger.

Le félin se leva avec paresse et le sol se mit trembler. Il était immense par rapport à elle et elle ne put détacher ses yeux de ses énormes pattes qui martelaient la terre. Le tigre s'arrêta devant la belette. Elle sentit son souffle chaud agiter sa fourrure. Il tendit alors l'une de ses énormes griffes, tranchante comme une lame de rasoir. Elv n'opposa pas de résistance lorsque, du bout de celle-ci, il la pendit au dessus du vide pour la porter devant sa gueule. Elle ferma les yeux, persuadée que ces nuances de bleu seraient son dernier spectacle.

Pourtant, contre toute attente, la gueule du félin se fendit en un large sourire.

« On se prend pour une pomme de pin ? »

Elv n'entendit que son ton mielleux qui caressa ses oreilles. Elle ne comprit qu'un charabia inaudible, tellement tétanisée de peur qu'elle en était vraisemblablement devenue sourde.

Elle se mordit violemment la langue pour tenter en vain de se réveiller. Mais il fallait se rendre à l'évidence : elle était prise au piège, suspendue par une griffe au-dessus du vide. Elle était forcée d'admirer l'effroyable dentition du fauve dans laquelle elle pouvait distinguer son reflet. Dans un sursaut de lucidité, la belette songea qu'il valait mieux ne pas le contrarier. Alors, tremblante, elle piailla :

Legend of Shapeshifters (T1)Where stories live. Discover now