Chapitre 21 : Le temps des regrets

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« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, brocards, loutres, et autres trucs ! J'aimerais votre attention juste un instant s'il-vous-plaît. Oui c'est cela, merci, merci. Oui, ne tenez pas rigueur de ma puanteur. Je suis navré de vous interrompre, mais je dois adresser ces quelques mots à la femme la plus éblouissante que j'ai rencontré dans ma pauvre vie sans intérêt. Callisto, ma muse, ma reine, ma déesse, c'est devant toi que je m'incline, que je clame ces mots de tendresse : tu es le soleil de mes nuits, la rose de mon champ, la... Euh... roue de secours de ma charrette ! Ce soir tu as prouvé qu'il y avait des gens suffisamment niais pour... Aïe ! Me frappe pas ! Pardon, que tu étais suffisamment attirante pour faire tomber les hommes à tes pieds. Alors, moi, Aaron, pauvre petit bousier complètement ignare, je traîne, je pleure, je geins à tes pieds d'impératrice de la musique et de la drague. »

La salle se partagea entre les bons-vivants, écroulés de rire sur leurs tables, et les sceptiques, se bouchant le nez en observant cette grande perche, complètement recouverte de boue et de saleté, clamant son amour à une femme qui semblait avoir conclu avec un autre.

Kale était si secoué de rire qu'il n'avait entendu que la moitié du discours. Chaque phrase le faisait repartir de plus belle, hurlant si fort qu'il s'était attiré des regards mauvais. Callisto se bouchait elle aussi le nez, pas à cause de l'odeur, mais parce qu'elle avait un mal fou à contenir son rire. Nihil semblait quant à lui bien s'amuser, puisqu'il se mit à applaudir en poussant des "Bravo ! Bravo !". Et même Lyanna laissait un timide sourire lui éclairer le visage.

Humilié mais pourtant fier de sa représentation, Aaron s'inclina devant son public, et surtout, devant Callisto, qu'il avait sous-estimée. 

« Eh bien, je te présente la troupe : Aaron, Lyanna et Kale. Dites bonjour vous autres. » Déclara-t-elle.

Aaron fit un signe de main à Nihil, mais s'arrêta dans ses mouvements lorsqu'il vit que ses yeux ne lui servaient plus. Il n'avait pas de grandes dents, ou de cicatrices sur les joues, juste des yeux pâles. Il avait un grand sourire, si éclatant qu'il en devenait contagieux.

« Ravi de vous rencontrer, tout le monde ! » S'exclama-t-il.

Kale essaya de lui répondre mais ses éclats de rire l'empêchaient de formuler le moindre mot. Saisissant l'occasion de se venger, Lyanna le désigna au nouveau venu.

« Fais pas attention à lui. Il lui manque une case. » 

L'intéressé se racla la gorge et déclara alors un bonjour franc et amical. L'aveugle drapé de rouge haussa les épaules, puis s'adressa à Callisto :

« Eh bien sur ce, maintenant que j'ai pu te rendre service, le drôle d'oiseau va te laisser à tes jeux de hasards.

- Hein ? 'Rendre service' ? Comment ça ? Protesta Aaron. Il était question de séduction, pas de marchandage.

- Toi, va te laver au lieu de râler. »

Nihil prit congé en s'inclinant théâtralement, et Callisto balaya très vite les questions indiscrètes sur ce drôle d'énergumène. 

« De toute façon, y a des chances pour qu'on le recroise, ce gars-là. » 

Et d'un commun accord, maintenant qu'Aaron s'était débarbouillé le visage, ils passèrent par les plages qui montaient sur le golfe afin de profiter des dernières lueurs du soleil. 

Les quatre amis se trouvèrent une place sur les hauteurs, tournés vers l'Ouest. Leurs ombres s'étendaient derrière leurs silhouettes comme quatre traînées noires sur le sable blanc. Son violon sous le bras, Callisto scrutait les lueurs orangées, Kale commentait joyeusement la soirée et Lyanna revenait sur cette histoire de pépite d'or. 

Legend of Shapeshifters (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant