Chapitre 18 : Lux

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Les Plaisirs de la Mélancholie



Palais des Contemplations,

22,8,142III

Lux errait dans les couloirs du Palais, l'esprit hagard tandis que ses jambes le portaient au travers du dédale. Il avait été surpris, presque effrayé de voir avec quelle facilité il s'était souvenu du labyrinthe dans ses moindres détails, alors que cela faisait désormais six longues, si longues années qu'il avait vidé les lieux. Comme animée d'une volonté de torture qui lui était propre, sa mémoire s'était amusée à lui restituer le souvenir de son départ, fragment par fragment, rassemblant ces bris épars qu'il s'était appliqué à répandre dans la trame de son psychisme pour ne plus avoir à contempler le malheur dont il était l'auteur. Mais cette fois-ci, les redissocier et les éparpiller aux quatre vents de son esprit lui avait demandé bien plus d'efforts qu'il n'était habitué à en fournir. Peut-être parce que le cadre dans lequel il évoluait triturait ses cauchemars de la plus désagréable façon, et qu'éviter les réminiscences incrustées dans la pierre du palais revenait à s'éviter soi-même... Il avait alors fait le vide, soufflé les poussières parasites qui l'étourdissaient, et s'était appliqué à éviter de penser. Il n'avait de toute façon pas besoin de réfléchir à son itinéraire, lui-même ancré dans les vestiges mémoriels de son corps.

Le mage baissa les yeux sur sa main blessée qu'il gardait plaquée contre sa poitrine, vaine tentative pour apaiser les élancements qui lacéraient ses chairs meurtries. La veille, il avait ôté les bris de verre qui s'étaient fichés dans les coupures, avait nettoyé la plaie et, à l'aide des bandages qu'il prenait soin de conserver dans son sac de voyage, avait pansé ses blessures du mieux qu'il avait pu. Toutefois, faute de soins magiques, il n'avait pu cicatriser dans la nuit. À vrai dire, il n'avait osé demander ce service à personne.

Comme en écho à la douleur lancinante qui lui rongeait la main, il repensa à sa conversation avec Amaril et lâcha un petit soupir qu'il ne sut attribuer à la frustration ou au soulagement. Il aurait souhaité s'entretenir davantage avec elle, de sorte à pouvoir aborder autre que leur passé meurtri. Bien que repentant de ne pas avoir su trouver les mots justes, il restait néanmoins incapable de brider son optimisme : l'étonnante clémence de l'Impératrice à son égard était présage de bonne fortune. La connaissant, il s'était plutôt attendu à recevoir un couteau entre les deux yeux alors qu'il lui faisait face pour la première fois depuis sa fuite, figure brassant la haine et la souffrance d'un temps révolu dans les prisons de la Muraille.

Mais Amaril avait été tendre, de cette tendresse invisible pourtant percutante, et Lux ne l'avait compris qu'en regagnant ses appartements. Ses pas lents, qui traînaient son corps mutilé, son esprit brisé et toute la douleur qu'il avait accumulée au cours de ses errances infinies, l'avaient mené jusqu'à la suite qu'il avait occupée des années auparavant dans l'aile impériale. Lorsqu'il s'était trouvé devant le ventail sculpté, il avait juré, s'était insulté lui-même et n'avait souhaité qu'une chose : trouver la force de quitter le pas de cette porte, comme geste symbolique qui aurait marqué sa volonté de laisser le passé au passé. Fort de cette résolution, galvanisé par ce désir presque physique de tourner les talons... il avait poussé le battant et était entré. Il n'avait pas eu besoin de tisser un feu dans l'âtre pour constater que l'endroit avait été apprêté pour sa venue. Et n'avait pas eu le temps de remercier l'efficacité des femmes de chambre qu'il remarquait déjà ce détail, non, cette évidence qui, dans son impitoyable condamnation aux regrets, l'avait jeté à genoux sur le moment.

Rien n'avait changé.

Rien.

De l'agencement des meubles aux tentures et tableaux, des tapis précieux aux lustres resplendissants, des livres reluisants sur leur bibliothèque aux babioles qui décoraient l'endroit ; la suite avait été laissée telle que Lux l'avait quittée, six ans plus tôt. Jamais personne ne l'avait habitée depuis son départ, il en aurait mis sa main à couper.

Anganope [Tome 1]Where stories live. Discover now