Chapitre 14 : Eliana

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La Brûlure du Magnifique



« Par ses cheveux d'épisthène traîné comme proie reflet dans l'orbe du prédateur. De coups roués comme le soleil martèle les murs de pierre blanche, aveuglants tandis que Lianos les caresse de son doigt rayonnant. Mais il n'y a ni jour ni nuit dans l'antre du diable, seul le froid glacial d'un belphémeth anticipé, qui rampe sous une peau marbrée de bleus aux couleurs de lacs gelés, baignés parfois d'une cascade de larmes. Souffrances éperdues quand la solitude écrase d'un pied en travers de la gorge.

Et le sang tâche la neige du sol. »

***

La Muraille,

21, 8, 142III

- C'est une blague, c'est une putain de blague et tu esun putain d'enfoiré, Lux d'Eliomar.

Et Leif cracha.

L'épéiste faisait les cent pas dans sa geôle et Eliana ne pouvait s'empêcher de se demander par quel miracle il n'avait pas encore creusé une tranchée dans le sillon furieux de ses pas. Étudier les allers-retours frénétiques du jeune homme, et analyser ses insultes souvent savamment pensées et subtilement imagées : il s'agissait là des deux principales occupations de la jeune femme, depuis qu'ils s'étaient fait jeter dans les bas-fonds de ce qui s'avérait être, sans grande révélation, la plus grande prison d'Eliomar. Eliana n'était plus surprise ni ennuyée de rien. C'était un fait, car elle se doutait que les cachots n'étaient universellement pas synonymes de bon accueil : les gens de ce monde étaient des brutes qui ne connaissaient ni civisme, ni hospitalité. Ainsi soit-il. Elle lâcha un soupir las.

Lumen Radia'sil Lionné'Lux d'Eliomar.

Assise dans un coin de sa microscopique cellule, à même le sol de pierre dont la couleur, par miracle, conservait son immaculé qui paraissait déplacé dans un tel environnement, Eliana raffermit son étreinte autour de ses genoux repliés. Ce nom, versé de la bouche du mage comme vin noble dans le verre d'un riche, lui laissait une sensation désagréable en travers de la gorge, comme lorsqu'une miette de pain se coinçait vilement dans l'une de ses fichues amygdales ; et elle avait beau déglutir tout son saoul en tendant le cou comme un pigeon pour faire passer la pilule, rien n'y faisait. Forcer le passage d'un doigt habile, ou attendre que la situation se résolve sans complication : la jeune femme devait avouer qu'aucune des deux solutions ne l'enchantaient vraiment.

Lux d'Eliomar.

Elle en aurait mis sa main à couper : ce n'était pas le nom que Lux lui avait donné à sa présentation. Elle savait qu'elle n'était certes pas dans un état de lucidité des plus acérés lorsqu'ils avaient échangé leurs formalités, dans les Tourbes de Mnémeth, mais de là à en oublier, ou tout au moins déformer un élément si trivial... C'était impossible. Mais alors pourquoi le mage lui aurait-il dissimulé un tel détail ? Par pur mécanisme d'autoprotection ? Ç'aurait été stupide : il aurait pu lui dire qu'il était héritier direct au trône de Vor'norenn et futur Maître incontesté du Monde Inférieur que ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid, puisqu'elle, terrienne, n'aurait dans tous les cas rien compris. Alors pourquoi mentir ? À moins que l'identité qu'il n'ait déclinée face au garde ne soit, pour le coup, elle-même un pseudonyme... De toute façon, nul besoin de tergiverser : l'heure n'était pas au dépoussiérage de ce que cachait cette introduction, aussi originale et fracassante soit-elle, car normalement réservée à la famille impériale. Eliana l'avait appris à l'instant où le soldat s'était permis de retourner une prodigieuse mandale à Lux en hurlant qu'il méritait la pendaison pour s'affilier de la sorte à la souveraineté. Définitivement hostile. Heureusement, le mage avait la tête bien vissée à son cou, à défaut de l'avoir sur les épaules. Eliana eut un grognement à mi-chemin entre amusement et amertume.

Anganope [Tome 1]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora