Chapitre 17 : Eliana

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L'Apologie de l'Ignorance



Suite de Solari et d'Eliana,

22, 8, 142III

Eliana s'étira longuement, appréciant le moelleux du matelas sous son corps comme le confort des couvertures qui l'emmaillotaient. L'espace d'un instant, elle revit Châtaigne, son chaton d'amour, vautrée sur son plaid-peluche tout aussi doux que sa fourrure, ses petites pattes aux coussinets roses tendues sur un soupir de fin du monde qui résonnait en écho de ses problèmes de chat d'intérieur. La scène avait toujours fait sourire Eliana, dans sa désinvolture dégoulinante de bien-être, ponctuée de ce râle aigu de félin choyé qui donnait l'impression d'une vie si dure, paresse impitoyable confiée au danger d'un lit douillet. La jeune femme avait toujours rêvé d'être un chat comme Châtaigne ; et c'était lors d'instants comme celui-ci qu'elle s'approchait le plus, et avec quels délices, de son étrange idéal félin. Sereine comme elle ne l'avait jamais été depuis le début de son périple, Eliana laissa son regard fuir par-delà l'une des grandes fenêtres ouvertes sur le bleu d'un ciel matinal.

À sa grande surprise, elle avait été conduite la veille dans une suite confortable qui détonnait de la chambre de bonne qu'elle s'était attendue à investir, au vu des circonstances de leur venue. Compte tenu des relations qu'entretenaient Lux et Amaril, elle avait été sidérée — même si séduite, de constater qu'ils avaient été envoyés dans l'aile réservée aux invités de la petite noblesse, comme le leur avait indiqué la servante qui les avait guidés. Apparemment, ils avaient de la chance d'être traités de la sorte et à l'énoncé de cette vérité, Eliana avait pu percevoir l'amertume qui imprégnait les mots de la domestique : le Sacrifice approchant à grands pas, le Palais était bondé, abreuvé du sang bleu qui coulait entre les frontières d'Eliomar voire au-delà, et les appartements avaient été distribués consciencieusement à chaque illustre visiteur en ayant nécessité pour son séjour dans la capitale. Leur irruption n'avait fait que perturber les plans, qu'il allait falloir revoir, finement bien sûr afin de ne pas froisser les prochains occupants avec une maladresse de placement. Quelle plaie ! Personne n'avait relevé, Solari perdue dans ses pensées, Leif dans son amertume et Eliana dans sa fatigue. Ainsi avaient-ils poursuivi leur cheminement dans les dédales de la construction jusqu'à ce que chacun regagne sa porte.

Une suite, donc, de deux chambres qui s'ouvraient de part et d'autre d'un petit salon et de son antichambre, et qui bénéficiait également d'une pièce dédiée aux ablutions. De quoi ravir la jeune terrienne qui retrouvait le confort relatif de son ancien train de vie. Au cours de sa découverte de l'endroit, elle n'avait pu s'empêcher de remarquer la simplicité avec laquelle était décorées les pièces. Le paradoxe avait fait ressurgir quelques souvenirs lointains, du temps où elle vivait encore dans le manoir de ses adorables parents. Elle eut un sourire amer : la clarté de sa suite lui était d'autant plus agréable dans ce contexte de suprématie vesalunaise qu'elle mettait à rude épreuve l'opiniâtreté de sa mère à surcharger sa demeure de moulures et d'or, alors que la pauvre femme n'était elle-même issue que de la basse bourgeoisie française.

Si Eliana devait décrire l'endroit en une phrase, elle dirait qu'il reflétait avec perfection ce qu'elle s'imaginait d'Amaril. De ce qu'elle avait vu, la souveraine restait humble et simple malgré son statut, pourtant raffinée et impériale dans son port et sa façon d'être, incisive peut-être dans sa pensée, efficace sans aucun doute, forte et fière dans son costume étriqué de jeune dirigeante propulsée à des sommets indiscernables pour quiconque évoluant sous la sagesse de son regard. Et de fait, la pièce était meublée du nécessaire seulement, d'objets de caractère et de matières nobles qui donnaient à l'observateur l'appréciation satisfaisante des belles choses.

Anganope [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant