Chapitre 9 : Solari

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La Monstruosité de l'Homme



Quartier Général de la Garde d'Ethellmar,

20, 8, 142III

Fin de soirée

Lux se gratta la joue. Le sang séché qui encroûtait sa peau le tiraillait à la moindre expression, si bien qu'il ne pouvait s'empêcher de frotter les plaques éparses en l'espoir de s'apaiser l'esprit. Il contempla un instant le résultat de ses efforts, ses ongles noircis et ses doigts couverts de paillettes brunes, et se fit la réflexion, sarcastique, qu'il tuerait presque pour un bon bain chaud — qu'il ne pourrait prendre avant un certain temps encore. Il soupira et son exhalation résonna en écho aux chuintements que produisait le sabre de Leif tandis que l'épéiste aiguisait sa lame.

À l'issue de « l'incident » de l'auberge, Leif Syllmenor, Eliana et lui-même avaient été convoqués chez Veselli pour qu'ils puissent s'exprimer sur les faits. Quelle n'avait pas été leur surprise, à Eliana et lui, lorsqu'ils avaient constaté que la jeune femme avec qui Leif partageait un fût et qui les avait accompagnés jusque dans l'antre du Chef de Garde, une certaine Solari, était la propre fille du diable ! Si l'on put penser que l'homme agissait plus tendrement avec le fruit de ses chairs, il n'en faisait en réalité rien : Veselli restait exécrable quoiqu'il advienne, avec les autres comme avec Solari, sans distinction de sang aucune. Et Lux n'avait pas manqué l'étincelle qu'avait fait naître les agissements du père à l'encontre de sa fille dans les prunelles d'Eliana.



— Tu l'avais vu ?

Depuis le début de l'interrogatoire, Melvil ne cachait pas son exaspération, qui détonnait dans le petit bureau telle une claque sur une joue. Cette fois pourtant, la rancœur tranchait dans sa voix comme le sabre de Leif avait coupé les avant-bras du démon : avec une cruelle sauvagerie qui empoissait l'air de froide angoisse, obscur écho au sol couvert de sang chaud. Solari détourna la tête et contempla ses bottes avec une attention des plus forcées. Elle mourrait d'envie de fuir.

— Réponds-moi, Solari ! Est-ce que tu l'avais vu ? Et regarde-moi quand je te parle, bordel !

— Oui, je l'ai vu.

La jeune femme blonde avait relevé son visage fin sur lequel bondissaient les courbes torturées de la haine. Ses yeux hurlaient sa colère avec une puissance effrayante que seules de longues années de ressentiment avaient pu cultiver.

— Et tu m'as rien dit ? Tu SAVAIS ce qui allait se produire, et tu m'as RIEN DIT ?

Une nouvelle fois, Solari garda le silence. La destruction du grenat me mènera à la réussite. Oui, elle avait vu, avec une frustrante inexactitude qui détonnait de ses presciences habituelles et qui l'avait empêchée de donner tangibilité à l'avenir, la mort des démons, la destruction de leur être. Elle avait vu la flamme de leur regard de grenat s'éteindre dans la sclère blanche de leurs yeux dégoûtants, la vie fuir leur corps dans un bain de rubis, la mort en miroir de leur ombre. Elle avait vu et n'avait rien dit, parce que la vision était floue et sa survenue inestimable dans le temps. Peut-être, aussi, parce qu'elle jugeait le silence être sa seule chance d'atteindre la réussite, comme le citait sa divination, réussite dont elle n'apercevait pourtant point même l'embryon.

— T'AS RIEN DIT ! UN TEL EVENEMENT, SOLARI, ET T'AS RIEN DIT !



Anganope [Tome 1]Where stories live. Discover now