45. Mariam

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Quand j'arrive chez moi, une délicieuse odeur de sauce tomate flotte dans l'air. Mon père nous a certainement concocté un bon plat de pâtes dont il a le secret. Je m'en lèche les babines à l'avance.

J'entends des voix en provenance de la cuisine. Mes sœurs sont là. Je suis pas surprise qu'elles m'aient devancée. Avec Antonin, nous avons fait partie des derniers à quitter la battue. La plupart des policiers étaient eux-même déjà partis. Pour nous, c'est encore un signe que cette enquête n'est pas leur priorité absolue.

Je m'attarde sur le seuil de la pièce, à observer ma famille. La radio résonne en fond sonore. La musique jazzy jouée à faible volume offre une ambiance calme. Exactement ce dont j'ai besoin à cet instant.

Je suis des yeux mon père qui s'active aux fourneaux. La sauce crépite dans la poêle. De la fumée s'échappe d'une casserole d'eau bouillante. Plantées devant le placard, mes sœurs débattent vivement du choix du type de pâtes. Penne pour Kadiatou, spaghetti pour Aminata. Chacune argumentant pour convaincre l'autre. Mon père se retient de rire, sans grand succès.

— Je vais régler le dilemme si vous continuez à vous hurler dessus, assène-t-il.

Mes sœurs s'insurgent. Non seulement, elles ne se hurlent pas dessus, mais la tradition veut que ce soit systématiquement l'une de nous trois qui choisisse les pâtes. Hors de question que ça change.

— Farfalle, je tranche alors, accotée au chambranle de la porte.

Tout le monde se tourne dans ma direction. Mon père m'adresse un petit sourire et brandit en l'air sa spatule en bois.

— Adjugé vendu.

Mes sœurs font mine de se vexer.

— Les penne, c'est meilleur, marmonne Kadiatou.

— Les spaghetti, encore plus, grogne Aminata.

Je leur adresse un clin d'œil.

— Peu importe la pasta, tant que la salsa est bonne.

Mes sœurs échangent un regard, l'air de se consulter. Aminata hausse les épaules, pendant que Kadiatou lève les mains en signe de capitulation.

— Je vais dresser la table.

Sur quoi, je m'exécute. Mes sœurs s'agitent pour me donner un coup de main. On s'installe à nos places tandis que notre père termine la cuisson des pâtes.

— C'est prêt, annonce-t-il avant de déposer devant chacune de nous des assiettes fumantes.

— Bon appétit, lancent mes sœurs en saisissant leurs couverts.

Le plat est délicieux. Je félicite mon père qui accueille mes compliments avec un sourire conquis. Le dîner se poursuit en silence. La pendule au mur marque les secondes bruyamment. Je mange lentement, le regard plongé dans mon assiette. Je suis épuisée. Physiquement et moralement. La battue n'a rien donné. Rien de rien. Fallait s'y attendre, nous a sorti un policier, vu le temps qu'il fait depuis vendredi. Il neige plus qu'il a neigé ces trois dernières années à la même période. C'est pas de chance, a-t-il sorti. J'ai cru m'étrangler en l'écoutant. « Pas de chance » ? Alors qu'une fille a disparu. On ne fait pas réflexion plus rude et sans cœur.

J'entends mon père demander :

— Comment tu te sens ?

Je redresse la tête. Mon père s'adresse à moi.

— Ça va.

— Et pour de vrai ?

Il me fixe, l'air attendri.

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant