4. Une semaine avant la soirée

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En classe de troisième, j'avais hâte d'entrer au lycée. Notre collège étant tout petit, ça faisait des années que Mariam et moi, on se coltinait les mêmes têtes tous les jours. Depuis notre entrée en sixième, exactement. Toujours les mêmes élèves, à chaque rentrée scolaire. Pas de nouveauté, la routine, chaque jour.

Notre bled perdu n'attire pas grand monde, les gens qui vivent ici y ont toujours vécu. Du coup, les nouveaux arrivants sont extrêmement rares. Si rares qu'ils restent surnommés « les nouveaux » pendant des années et des années. Vous voyez le genre...

Quel soulagement j'ai ressenti quand, cet été, j'ai enfin dit adieu au collège et bonjour au lycée accueillant deux fois plus d'élèves ! Vu qu'il est le seul à des kilomètres à la ronde, il n'y avait pas de doute sur le fait que j'y rencontrerai des nouvelles personnes.

Alors, certes, maintenant que je suis en seconde, je croise plus de monde, mais je ne trouve pas que ce soit évident de se faire beaucoup de nouveaux amis. La plupart des gens se connaissent d'avant, les groupes sont déjà formés et, surtout, en tant qu'élève de seconde, j'ai un peu le sentiment qu'on est vus comme « les petits ». Difficile de faire connaissance avec des gens des classes supérieures, ce qui, pourtant, m'intéresserait le plus.

Cela fait plusieurs jours que j'entends parler d'une nouvelle fête chez Leo, un mec de terminale. En fait, ce n'est pas un mec de terminale, c'est l'un des plus connus. Il fait partie d'une des familles les plus anciennes de la ville, installée ici depuis des générations et des générations. À se demander si elle ne fait pas partie de celles qui ont créé cette ville. Leo est aussi l'un des élèves les plus brillants et il est capitaine de l'équipe de tennis, connue dans tout le département. En plus, il a la réputation d'être un mec super gentil et drôle. Bon, j'imagine qu'il doit avoir quand même un défaut ou deux, mais ils ne sont pas suffisamment flagrants pour faire de l'ombre à ses nombreuses qualités.

J'ai entendu dire qu'il organise plusieurs soirées par an et que les invités sont peu nombreux, triés sur le volet. Difficile d'en faire partie alors que je n'ai jamais eu l'opportunité de lui adresser la parole.

— J'aimerais tellement qu'on arrive à se faire inviter à celle-là, je chuchote en observant un groupe de terminales qui évoque plus que bruyamment la soirée à venir.

Ils veulent très certainement faire savoir à l'ensemble des personnes qui les entourent qu'ils participent à cette fête.

— Qu'est-ce que tu dis ? me demande Mariam en mâchant vigoureusement son chewing-gum.

— Je crois que Leo organise une fête.

Ma meilleure amie lâche un petit rire.

— Bravo Sherlock ! Tout le monde en parle, comment as-tu eu cette info exclusive ?!

Je secoue la tête en faisant la moue.

— Arrête de te foutre de moi ! Sérieusement, ça pourrait être sympa de découvrir ce que ses fêtes ont de si hors du commun.

— Pas sûr qu'elles aient quoi que ce soit qui sorte tant de l'ordinaire. Elles sont organisées par ce mec, j'ai l'impression que c'est suffisant pour que tout le monde s'enflamme. À moins qu'on y fasse des sacrifices humains ou qu'on y lance des sortilèges bizarres en se mettant en transe, ou...

— Arrête ! je la coupe en me marrant.

La sonnerie résonne, on se dirige vers notre salle de classe. Je réalise alors que j'ai oublié de prendre mon manuel d'espagnol. Pas la peine de me présenter en cours si je ne l'ai pas, le prof est complètement psychorigide à ce niveau-là. « Un élève égal un manuel » il nous répète à chaque fois. J'ai l'impression d'être un bouquin sur pattes à chaque fois qu'il dit ça.

Comme Mariam n'est pas plus pressée que ça de poser son fessier dans la salle de M.Hernandez, elle m'accompagne jusqu'à mon casier. On ne traîne pas, on trottine même, car les couloirs sont en train de se vider et la deuxième sonnerie, signifiant que les portes des classes vont bientôt se fermer et ne plus accepter de retardataires, va bientôt retentir.

Au détour d'un couloir, je bute sur quelqu'un, accroupi au sol. Mariam m'attrape le bras, m'empêchant de complètement me rétamer au sol.

— Oh désolée ! je lance à l'attention du gars.

— Non, c'est moi ! me répond-il en se redressant.

Leo. Le fameux Leo. Il a les sourcils froncés, comme s'il était soucieux, et fixe le sol.

— Tout va bien ? je demande.

— J'ai perdu une fichue boucle d'oreille.

Comme je rive mon regard sur ses oreilles, qui ne sont pas percées je note, il lâche un petit rire.

— Pas une des miennes, une de celles-là !

Il nous présente une petite boîte dans laquelle il ne reste qu'une minuscule boucle d'oreille dorée.

— Cadeau pour l'anniversaire de ma mère. J'aurais jamais dû l'ouvrir pour les montrer, maintenant il y en a une qui se trouve je ne sais où sur ce fichu carrelage dégueu.

— J'ai une vue d'aigle, je peux peut-être t'aider ? je propose.

Le sourire de Leo s'élargit.

— C'est sympa. Je ne suis pas contre une paire d'yeux en plus.

Mariam désigne ses lunettes épaisses. Pas de lentilles de contact aujourd'hui. Ce matin, elle avait les yeux en feu. Trop secs pour accueillir quoi que ce soit, m'a-t-elle dit. Rien que l'idée de déposer quelque chose sur sa cornée risquait de lui faire tourner de l'œil. Sans mauvais jeu de mot.

— Moi, je ne vais pas être très utile, mais je vous apporte tout mon soutien moral. Et un peu de lumière aussi, tiens.

Elle active la lampe torche sur mon portable. Aussitôt, je plonge vers le sol et me retrouve à le scruter de si près que je pourrais en compter les poussières.

J'avance lentement à quatre pattes, tâtonnant des deux mains. Soudain, je repère un éclat. J'approche encore plus le nez du sol, Mariam pouffe de rire.

— On dirait que tu vas embrasser le carrelage !

— Je n'en demande pas autant, plaisante Leo.

Je les ignore, toute mon attention focalisée sur l'éclat brillant. Je passe lentement la main par terre et bingo ! C'est bien la minuscule boucle d'oreille que je sens sous ma paume. Je la pince délicatement entre deux doigts et me relève.

— Je n'ai embrassé personne, mais j'ai trouvé ça !

Le visage de Leo s'illumine. Il récupère délicatement la boucle que je lui tends et la range précautionneusement dans son petit écrin.

— Oh génial ! Merci, merci !

— Tant mieux si j'ai pu aider.

— Tu me sauves la vie, même ! Ma sœur m'aurait tué si j'étais revenu à la maison avec une demi paire de boucles d'oreilles ! Je ne sais pas comment te remercier.

Oh mes aïeux, la chance du siècle ! Moi, je sais pertinemment comment il peut me remercier.

— Eh bien, j'ai entendu parler d'une fête que tu organises, je crois que ce n'est que sur invita...

— Venez ! me coupe-t-il. Toutes les deux ! Vous êtes les bienvenues. Ça me fera plaisir.

Et moi, donc !





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