7. Une semaine avant la soirée

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Bien. Restons zen. Ne nous enflammons pas. Nous avons juste gagné une invitation pour une soirée à laquelle je n'aurais jamais imaginer aller. J'ai envie de sauter dans tous les sens comme une gamine devant le sapin garni de cadeaux le soir de Noël. Comme quoi, il faut croire en ses rêves. Ça va devenir ma nouvelle devise. « Croire en ses rêves et ramasser les boucles d'oreilles », ça sonne bien, non ? Non, je n'exagère pas. Oui, je sais, ce n'est qu'une simple soirée. Une banale fête. Mais je mourrais d'envie de pouvoir participer au moins une fois.

Bon, d'un autre côté, on aussi gagné de se retrouver à la porte de la salle de classe et de se faire envoyer bouler par le prof d'espagnol. On a gagné un aller simple pour le bureau de la conseillère d'éducation qui nous a pas cru une seule seconde quand on lui a expliqué que notre retard était dû à une perte temporaire de boucle d'oreilles (je n'ai pas précisé à qui appartenait cette boucle d'oreille, de toute façon, ça n'aurait pas changé grand-chose à l'affaire).

On a gagné une heure de colle en fin de journée. Et, en attendant, pour couronner le tout, on a gagné un petit séjour dans la salle de permanence que tout le lycée appelle la salle puante, car le prof qui la surveille schlingue tellement que la salle est imprégnée de son odeur. Passer du temps dans cet endroit est la punition ultime.

En bien peu de temps, on a gagné des lots très différents. Le plus important, c'est l'invitation à la soirée. Et visiblement, Mariam est à deux doigts de m'assommer à force de m'entendre en parler.

Tout en se pinçant le nez, mon amie étant très sensible aux odeurs, Mariam marmonne :

— On va peut-être changer de sujet ? Qu'est-ce ce que tu en dis ?

— Je n'arrive pas à m'en remettre !

— Sans blague.

— Il a fallu qu'on tombe sur lui !

Mariam joint ses deux mains comme pour une prière.

— Une vraie intervention divine. Si jusqu'ici, on doutait de l'existence de Dieu, je pense que désormais, cette question a trouvé sa réponse.

— Arrête tes moqueries.

— Arrête de parler de cette foutue soirée.

— Ce n'est pas une foutue soirée.

— C'est en train de le devenir juste parce que tu me bassines avec !

— OK, j'arrête.

Je me tais et me mets à jouer avec un de mes bracelets, un sourire béat aux lèvres.

— Du coup, tu ne parles plus ? Tu n'as plus aucun autre sujet de conversation ?

— Avoue que c'était quand même dingue qu'on ait pu l'aider !

Mariam lève les yeux au ciel tout en souriant.

— Tu me fatigues.

— Mais tu m'aimes.

— Évidemment.

Mon portable vibre à plusieurs reprises. C'est Antonin. Il s'inquiète de ne pas nous voir en classe. Je lui annonce qu'on se trouve en salle puante et je lui promets de tout lui expliquer quand on le rejoindra à la fin de l'heure.

— Je vais me sentir mal, marmonne Mariam en se pinçant plus fort le nez.

— Prends un chewing-gum.

— J'en ai plus. Sinon je me serai déjà enfilé tout le paquet.

— Je ne sais pas quoi te dire, alors.

Le prof puant nous fait signe de baisser d'un ton. Mariam lui lance un regard si noir que je me demande si ça ne va pas le transpercer sur place.

— Il abuse, lui. Déjà qu'on ne peut pas respirer, si en plus on n'a pas le droit de parler, c'est la totale. On doit peut-être arrêter d'exister aussi ?

J'éclate de rire.

— Non, mais sérieux, poursuit Mariam à voix basse. Il n'a jamais entendu parler de la douche, du déo ou du parfum ? Si vraiment c'est un problème de santé, on ne peut rien lui reprocher mais dans ce cas, il peut tout simplement ouvrir les fenêtres. Ça coûte rien de laisser ces putains de fenêtres ouvertes. Ça sauverait nos jeunes narines. Tu crois qu'on peut perdre l'odorat dans ce genre de situations ? Bon Dieu, si c'est le cas, je peux te jurer que je lui colle un procès aux fesses !

Je continue à rire sans pouvoir me contrôler. M. Puant décide alors de nous séparer. Chacune à un bout de la pièce. Du coup, au lieu de communiquer par oral, on passe à l'écrit.

Pendant tout le reste de l'heure, on s'envoie des messages. Je crois que Mariam ne m'a jamais autant envoyé d'émojis cacas, nez et têtes de mort.

Quand on sort enfin de la salle, Mariam prend de grandes inspirations, comme si elle était restée en apnée sous l'eau pendant des heures.

— Plus jamais je ne serai en retard en cours. Je jure que plus jamais je ne retournerai dans cette pièce. Ils sont malins les profs dans ce lycée, ils ont trouvé la technique pour que tout le monde soit à l'heure en classe. Ils sont malins ET sournois.

— Je n'avais pas pensé aux choses sous cet angle mais tu dois avoir raison. C'est une technique radicalement efficace. On ne peut pas le nier.

On n'était que trois dans la salle puante et notre voisin de malheur avait l'air, lui aussi, de découvrir cet endroit. Faut croire qu'on atterrit une fois dans cette pièce, pas deux.

On se dirige droit vers la cour pour aller prendre un vrai et bon bol d'air frais. Antonin y est déjà. Il nous presse aussitôt de lui expliquer la raison de notre absence en classe. Je lui fais le récit de l'histoire de la boucle d'oreille, Mariam toujours concentrée à renouveler l'air de ses poumons. Elle va finir par nous faire un malaise, c'est pas possible.

— Qui aurait cru que vous vous retrouveriez en salle puante à cause d'une boucle d'oreille ? se marre Antonin.

— Pas moi, maugrée Mariam entre deux grandes inspirations. Ça nous apprendra à être de bonnes âmes charitables.

— On y a gagné au change, quand même. On est toutes les deux invitées à la soirée de Leo, c'est une chance. Surtout quand on sait qu'il y a un nombre limité d'invités.

Antonin nous adresse un sourire qui paraît quelque peu crispé.

— C'est super, vous allez bien vous amuser, je suis sûr.

Mariam opine du chef.

— En tout cas, après avoir passé presque une heure en terre irrespirable, je dirais qu'on la mérite cette invitation. Et que ça a intérêt à être la soirée de l'année !

Je ne peux qu'être d'accord. J'espère que ce sera la meilleure des fiestas. 



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