12. Quelques heures avant la soirée

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Il règne une douce chaleur dans le café. C'est si agréable ! Dehors, le froid est mordant et le vent souffle vraiment fort depuis plusieurs heures. Pas de neige pour l'instant, mais vu les prévisions, ça ne devrait pas trop tarder. J'espère juste qu'elle ne tombera pas trop fort.

La salle du café est bondée, le brouhaha important. Ici, c'est le repaire de nombre de lycéens. Il faut dire qu'il y a peu d'endroits à Antis où passer le temps. Surtout avec un temps pareil !

Antonin souffle doucement sur son café tandis que Mariam s'amuse à faire une tour de sucre. Elle a bu son chocolat si vite que j'ai cru qu'elle allait se cramer la bouche, mais Mariam aime le boire brûlant. Elle dit que sinon ça a un goût bizarre. Personnellement, je n'aime pas le chocolat chaud donc je ne suis pas une référence. J'aime le café noir, bien fort. Et celui que j'ai sous le nez n'est pas trop mauvais.

— S'il vous plaît ?

Mariam apostrophe le serveur qui fait mine de ne pas la voir.

— Je pense que tu peux le tutoyer, dit Antonin. Il est à peine plus âgé que nous, tu sais.

— Ah bon ?

Mariam le scrute.

— Hum, oui. Possible.

— Il doit bosser ici depuis peu de temps, avance Antonin.

— S'il vous plaît ! insiste Mariam, plus fort.

Le visage du serveur se crispe. Il est évident qu'il commence à en avoir marre de lui apporter des sucres pour sa construction. Mais Mariam ne laisse pas tomber, c'est quelqu'un de déterminé. Si elle veut quelque chose, elle ne lâche pas. Peu importe les circonstances. J'aime cet aspect de sa personnalité.

— S'il vous plaît ! hurle-t-elle presque.

Le serveur soupire bruyamment, mais lui apporte ce qu'elle attend. C'est la cinquième fois qu'il vient à notre table, et les trois dernières ne concernent que des morceaux de sucre.

— C'est la dernière fois, annonce-t-il. J'ai besoin de sucre pour les autres tables.

Mariam lève les yeux au ciel.

— Tu ne vas pas me faire croire que vous n'avez en stock que la vingtaine de morceaux que tu m'as apportée !

Tiens, on est passé au tutoiement.

— Et tu les récupères quand on s'en va, donc ça va, poursuit Mariam. Tout va bien, tu peux te détendre.

Ces mots ont visiblement l'effet inverse sur le serveur qui se raidit et nous tourne le dos.

— Je pense qu'il faut faire une croix sur de potentielles nouvelles commandes, lâche Antonin en fixant sa tasse. Du coup, je vais boire très lentement.

— Moi, je n'avais pas l'intention de commander une autre boisson.

Mariam me regarde du coin de l'œil sans quitter sa tour pour autant.

— Pourquoi ? Tu es pressée ?

— Il y a la soirée chez Leo, tout à l'heure.

— Je suis au courant, merci. Il me semble qu'on en a déjà parlé à quelques reprises aujourd'hui.

— Ah bon ? lâche Antonin, sur un ton un brin moqueur. Je n'ai jamais entendu parler d'une telle soirée.

J'attrape un sucre et l'envoie en direction de mes amis.

— Très drôle.

Mariam le récupère.

— Pas touche ! Tu n'as pas vu la galère que c'est pour m'en procurer ?

Je pouffe de rire en levant les yeux au ciel.

— Un de plus, un de moins ! Quelle importance ?

— Ça peut faire toute la différence, tu n'y connais rien.

— Si tu le dis.

Je regarde ma montre. Combien de temps a-t-on encore devant nous avant la soirée ? Je calcule dans ma tête.

— Tu es si pressée que ça ? m'interroge Antonin.

— Je veux juste prendre le temps de choisir ce que je vais porter.

Antonin rigole. C'est peut-être bête mais je veux faire bonne impression à cette soirée. Même si je ne suis pas certaine que bonne impression veuille dire quoi que ce soit. Pourquoi me soucier de ce qu'on pensera de moi ? Et surtout de ma tenue ? C'est plus fort que moi, j'ai envie qu'on m'accepte. Quoi qu'il en soit, quoi que je décide d'enfiler, je me plairais ou je ne me plairas pas. Voilà ce qui arrivera.

Mariam jette un œil à son portable.

— Il est dix-sept heures. Je pense qu'on a largement le temps de profiter encore un peu ici avant que tu tergiverses devant ta penderie.

— Pourquoi je tergiverserai ?

— Dis-moi que tu ne tergiverseras pas.

— OK. Peut-être bien que je vais tergiverser.

Antonin grimace.

— Vous voulez bien arrêter de prononcer ce mot ?

— Lequel ? Tergiverser ? je répète exprès.

— Tergiverser te gêne ? fait Mariam pour en rajouter. C'est joli pourtant tergiverser. Ter-gi-ver-ser.

Antonin soupire et plonge le nez dans sa tasse.

— Ça y est, merci. Ce mot n'a plus aucun sens.

— Il est donc temps de s'en aller, j'assène avec un sourire.

Antonin lève un sourcil.

— Tu veux te débarrasser de moi, c'est ça ?

Instantanément, je me tends.

— Ce n'est pas de ma faute si tu ne viens pas à la soirée.

Mariam me fait les gros yeux.

— Ju !

C'est plus fort que moi. Je ne peux pas répondre calmement.

— Ce n'est pas méchant, c'est une simple constatation, je réplique d'un ton provocateur. Il n'est pas invité, OK, mais ce n'est pas comme si on ne lui avait pas proposé de s'incruster avec nous. Monsieur n'ose pas.

Les yeux d'Antonin s'assombrissent et sa mâchoire se crispe.

— Parce que Môsieur ne rêve pas de se rendre chez Môsieur Leo comme d'autres ! Ce n'est pas le but ultime de ma vie !

Je suis agacée. Et pas qu'un peu.

— Excuse-moi de vouloir m'amuser dans ce bled de merde.

— Et y a que dans ce genre de « génialissimes soirées » qu'on s'amuse peut-être ?

Je sens l'énervement monter en moi. Mon rythme cardiaque s'accélère.

— Peut-être bien que oui !

— T'es pas croyable, grommelle Antonin entre ses dents.

Je me lève et récupère mon manteau sur le dossier de ma chaise. Je n'adresse pas le moindre regard à Antonin.

— Bien, je vais rentrer. J'ai un devoir à terminer avant de me préparer. Mariam, tu me rejoins quand tu veux.

Je n'attends aucune réponse. Je quitte la table et me dirige à grands pas vers la sortie du café. 

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant