💖Tu seras reine, ma fille💖

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"Non."

La réponse est passée entre mes lèvres de façon si claire que le mot m'a semblé résonner durant l'éternité. Le silence s'était aussitôt fait dans la salle et je commençais à me demander si le mot avait vraiment été entendu. Comment en étais-je arrivée là, déjà ? Dire "non" le jour de mon mariage, c'était osé. C'était fort. C'était risqué. Et pourtant, je l'avais fait sans aucune hésitation.

Vous vous demandez peut-être comment tout a commencé ? Ça a commencé le jour de notre rencontre... Le jour où on m'a présenté le prince, quatre ans auparavant.

"Aurore, mon enfant, approche. Je te présente le prince Philippe. Il est venu demander ta main alors dans quatre ans, vous vous marierez."

Je n'avais pas eu mon mot à dire. Comme toujours. Je le rencontrais pour la première fois, je ne savais rien de lui, à part qu'il avait déjà seize ans. Après ça, je ne l'ai revu que ponctuellement, nous avons peu discuté, je le trouvais inintéressant, mais je n'avais pas le droit de le lui dire. C'était ainsi que mes parents m'avaient élevé. Mon destin avait été écrit dès ma naissance, et je me trouvais alors devant cet autel, face à cet inconnu de quatre ans mon aîné. Et surtout, surtout : je n'avais aucune envie de l'épouser. J'étais jeune et le monde avait encore tant de choses à m'offrir, il y avait encore tant de découvertes qui m'attendaient...

Si j'avais fini par lâcher ce mot, c'était pour une raison très simple. La veille de mon anniversaire, et de mon mariage, j'avais fait un rêve. Je m'étais souvenue du jour de ma naissance. Je savais que pour ce jour si particulier, toutes les fées du royaume avaient été conviées à la fête. Aucune ne manquait à l'appel, et c'était tant mieux, on dit que les fées n'aiment pas être mises de côté, surtout lors des naissances des princesses.

Elles étaient venues les unes après les autres, m'offrir un présent bien particulier, et c'est ainsi que j'avais eu droit à la beauté, à la richesse, à la bonté, à la bonne santé, à la chance, à une belle voix, au don artistique, à l'intelligence, à la douceur, que je serai aimée du peuple, que j'aurai un mariage somptueux et que j'aurais de beaux enfants. Mais la dernière des fées, la treizième, celle qui fut oubliée dans un conte bien connu, n'avait alors plus grand chose à m'offrir. J'étais déjà si gâtée ! Alors elle m'offrit le choix. Et à mon réveil, je compris que j'avais le choix.

J'avais seize ans et c'était le jour de mon mariage. Le plus beau jour de ma vie. Il était somptueux, comme la fée l'avait dit seize ans auparavant, le royaume entier était en fête, parce que oui, le peuple m'aimait sans que je n'eus rien à faire. Mais moi, je n'avais pas envie de tout ça. Je ne savais pas encore ce que je voulais, mais ce que j'étais sûre, c'était que je ne voulais pas épouser ce stupide prince. Il était charmant, je vous l'accorde, mais il était bête comme ses pieds.

"Excusez-moi, qu'avez-vous dit ?

— J'ai dit : non. Je ne l'épouserai pas."

L'assemblée entière était sous le choc. Philippe ne savait plus quoi dire, lui d'ordinaire si bavard. Le roi mon père se leva de son siège et s'avança jusqu'à moi, aussitôt suivi par ma mère.

"Que veux-tu dire, ma fille ? Serais-tu malade ? Aurais-tu de la fièvre ?! Si c'est une plaisanterie, il est temps de l'arrêter, tout de suite !

— Je me sens très bien, père. Mais j'ai seize ans aujourd'hui, j'ai encore toute la vie devant moi et je ne souhaite pas la gâcher dès maintenant en épousant un homme que je connais à peine.

— Que racontes-tu ?! Épouser un prince et devenir reine, c'est ton rêve depuis toute petite, tu ne peux pas tout abandonner comme ça !

— Non, mère, ça n'a jamais été mon rêve mais le vôtre. Mon rêve, ça a toujours été de m'échapper de ma tour d'ivoire, sortir de ses murs où je suis née et voir le monde. Il y a tant de belles choses dehors, je ne les ai vues qu'à travers les livres illustrés de notre bibliothèque, mais j'ai besoin de les voir de mes yeux. J'ai besoin de vivre. Et c'est ce que je veux. C'est ce que je vais faire. Car c'est mon choix."

À ce mot, je vis mes parents tressaillirent. Ils savaient quelque chose. Ils se souvenaient de ce dernier don. Et ils me l'avaient caché depuis toujours. Peut-être se sentaient-ils coupables de m'avoir menti ? Mais je n'eus pas le temps de leur demander. L'instant qui suivit enveloppa la pièce d'une étrange lueur verte. Accompagnée de végétation grandissant à vue d'œil, elle figea tous les invités, les gens venus de loin pour assister au mariage, le prêtre, le prince éperdument amoureux de moi, les gardes royaux, les serviteurs et même mes parents. Juste sous mes yeux, je venais de voir la disparition de mon royaume sous une cascade de ronces épaisses.

J'entrepris alors de sortir de la chapelle, déchirant ma robe blanche au passage. Je me retrouva dans la cour, ou du moins, ce qu'il en restait. On aurait dit que le jardin de derrière s'était élargi jusque-là et qu'il n'en finissait plus. Une lumière apparut devant moi et une fée prit forme.

"Bonjour, princesse. Je me demandais quand tu ferais ton premier choix. Aujourd'hui était le dernier jour pour que mon don puisse t'être bénéfique. Mais tes parents en avaient voulu autrement. Ils m'ont banni de leur royaume juste après ta naissance, ne souhaitant plus jamais me revoir. Ils ne voulaient surtout pas que tu saches que tu pouvais avoir ta propre vie. Ils souhaitaient organiser ta vie comme bon leur semblait, et ils auraient pu y parvenir si mon pouvoir, même affaibli, n'était pas venu jusqu'à toi dans tes rêves.

— Mais... Ces ronces, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est moi qui ait provoqué ça ?

— Oui et non. Ne te sens pas responsable pour tout ça. Afin de me bannir, ils ont fait appel à un mage, mais il y avait une contrepartie à payer. Si jamais tu parvenais à faire un choix avant tes seize ans et un jour, le royaume tout entier serait plongé dans un sommeil de cent ans. Tu n'y peux rien. C'était écrit.

— Alors... Je ne les reverrai plus jamais ? Je peux faire ce que je veux ? Je peux devenir qui je veux ?

— Exactement. Je te souhaite une longue et belle vie, princesse !"

Sur ces mots, la fée disparut dans un nuage de fumée. Je rejoignis ma vieille chambre, encombrée de plantes sauvages, je pris quelques affaires et retira mon affreuse robe déchirée. Vêtue d'une tunique des plus confortables et parée à l'aventure, je m'enfuis du palais avant le jour suivant. Deux jours plus tard, j'avais dépassé la frontière de mon royaume et je partais à la conquête du monde. Armée de mes nombreux dons et de ma chance insolente, je savais que je n'en ferai qu'une bouchée, et que j'aurais une vie heureuse et épanouie, loin de ceux qui avaient voulu me garder en cage.

Les Contes de Maya [Recueil]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant