1 - Au commencement était la lumière

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La poitrine brûlante, je ralentis l'allure sur le chemin en graviers du parc et terminai ma course en m'accoudant à un tronc d'arbre. Les odeurs printanières emplirent mes poumons tandis que je happais une grande goulée d'air. Une main sur la hanche, je levai le visage vers le ciel matinal où l'aube crayonnait ses premières couleurs. L'astre levant inondait la voûte d'une lumière aux tons rosés et apportait sa chaleur au jour nouveau qu'il annonçait. Je repris mon souffle et gagnai un banc pour admirer les beautés de ce spectacle intemporel. Quelques coureurs foulaient le sol à intervalles reposants et réguliers, quelques chiens furetaient les coins fleuris sous les yeux fatigués de leurs maîtres.

La tête renversée en arrière, je poussai un profond soupir. Si intense avait-il été, l'exercice ne m'avait pas permis d'oublier les visages endeuillés de cette famille, leurs pleurs et leurs cris de haine déversée contre moi. Je n'avais rien pu faire, ils ne l'avaient pas compris. N'avaient pas voulu le comprendre. J'avais quitté en fulminant l'hôpital au terme de ma nuit de garde, le cœur lourd et blessé, et en dépit de mon mal de crâne, avais entrepris une course de fond à l'aurore. Le sport était un précieux exutoire ou au moins une alternative à l'insomnie.

Longtemps je restai face aux rayons de l'aube. Lorsqu'enfin je rentrai à mon appartement, un vide maussade m'attendait. Mon jeu de clés tinta dans le silence et je me laissai retomber sur une chaise de la cuisine en me servant un verre d'eau. Mon regard s'enquit machinalement de l'état de mes deux orchidées qui déployaient paresseusement leurs corolles au-dessus du bar et, sur leur étagère bohème au salon, de mes petites plantes en pot qui buvaient la lumière à travers les voilages blancs.

J'avalai une gorgée de mon verre. Mes gants de boxe usés traînaient encore négligemment sur la table à côté de ma carte d'accès à la salle de sport. Si j'en avais encore eu la force, je n'aurais pas répugné à une session matinale. Certaines de mes connaissances avaient jugé la situation ironique lorsque j'avais songé à m'y mettre car j'étais plutôt chétive et que j'abhorrais toute forme de violence au quotidien, mais la boxe s'était révélée une activité prodigieusement libératrice. Cela faisait trois ans que je pratiquais et l'idée d'arrêter ne m'avait pas une seule fois effleuré l'esprit.

L'horloge au mur frappait à intervalles réguliers – tic tac, tic tac. Je frottai mes paupières engourdies et mes yeux s'égarèrent un instant sur l'aimant accroché au réfrigérateur qui renfermait un cliché de mes trois plus proches amies. Des années étaient passées depuis l'immortalisation de cette grimace de jeunesse insouciante. À la fin du lycée, nous avions toutes déménagé loin les unes des autres en nous promettant de ne jamais laisser la vie nous séparer. Et nous avions tenu parole... un certain temps. Aujourd'hui, la part allègre de moi qui nous imaginait vieillir ensemble comme des sœurs s'était tue.

Il n'y a pas plus fidèle amie que la solitude.

Tic tac.

La chaise racla bruyamment le carrelage lorsque je me levai et je posai mon verre dans le bac vide de l'évier. Mon téléphone jeté sur le plan de travail affichait deux appels manqués en mon absence. Avec un nouvel entrain, je recomposai le numéro.

— Salut, maman.

— Bonjour, mon ange ! répondit la voix douce et enjouée de ma mère au bout du fil. Contente de t'avoir un peu. Ça fait une éternité que tu n'as pas donné de tes nouvelles.

— Une éternité, oui ! Une semaine, précisai-je sans cacher mon ironie.

— Comment vas-tu ? Tu es en route pour le travail ?

— Non, je rentre seulement. J'étais de garde. La nuit ne... s'est pas très bien passée, admis-je en me blottissant au fond du canapé et j'en profitai pour apprécier la croissance de mon nouveau ficus.

La DésillusionWhere stories live. Discover now