4 - Entre quatre murs

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Le lendemain, mes joues étaient sèches et je m'étais ragaillardie. Pleurer faisait du bien mais cela n'aidait pas à avoir les idées claires.

La nuit avait été épouvantable. Dans l'obscurité permanente, il y avait eu des murmures fous qui se parlaient constamment, des raclements d'ongles sur la pierre et, parfois, un cri jailli de nulle part. Si au début je n'avais pas envisagé de dormir, l'émotion avait eu raison de moi et j'avais fini par m'assoupir à même le sol.

On m'avait apporté au matin un baquet d'eau claire destiné à la boisson, ainsi qu'une écuelle contenant du gruau avec une tranche de pain rassis. Je m'étais efforcée de surmonter mon dégoût et de tout avaler. Une chose était sûre : tomber d'inanition ne m'aiderait pas à sortir de là.

Tomber malade non plus, d'ailleurs ; or pour le moment, je grelottais encore dans mes couches de vêtements humides. Une fois mon repas terminé, je décidai donc d'étendre au moins mon tee-shirt aux côtés de ma polaire.

Assise torse-nu sur ma paillasse, j'en profitai pour examiner ma blessure que j'avais mise de côté depuis la veille. Les bords avaient rougi d'une manière qui me déplaisait. Je la lavai avec un peu d'eau claire, faute de mieux, en espérant glaner un savon prochainement. Par la même occasion je tentai de glisser un doigt sous ce maudit collier d'Igelune où la peau me démangeait. En vain. Impossible de s'en débarrasser, apparemment. Il y avait comme des écritures incrustées dans le métal et pas le moindre fermoir.

Cela fait, je me réinstallai ensuite contre le mur et m'immergeai dans les réflexions.

Un autre monde. Après une nuit, j'avais plus ou moins déjà absorbé cette vérité. La part irrationnelle de moi qui était demeurée attachée aux histoires de mon père, qui s'y était cramponnée comme la vermine sur l'écorce malgré ces années loin de lui, malgré mon endoctrinement dans le rationalisme scientifique, me soufflait d'y croire sans l'ombre d'un doute. D'une manière ou d'une autre, pour une raison qui m'échappait, le sapin avait joué le rôle d'une passerelle. L'existence d'une terre parallèle, en revanche, n'avait pas l'air d'étonner mes geôliers outre mesure...

Un autre monde, oui, mais ce n'était pas la raison de mon enfermement. Quelque chose s'était passé hier, dehors ; un attentat peut-être, puisqu'on m'accusait gravement d'être complice. Il me semblait que les Faucons Obscurs étaient des ennemis de cette organisation dans laquelle j'étais tombée, l'Ordre, et qu'on s'était mépris sur mon identité. Coûte que coûte, il m'incombait de prouver mon innocence. Mais comment ?

Pendant de longs moments, mon regard erra sur les inscriptions gravées dans les murs par les anciens prisonniers. Elles étaient en grand nombre ; des mots inconnus, des symboles de toutes tailles et parfois même des phrases se disputaient les portions de pierre les plus lisses. Qu'étaient devenus mes prédécesseurs ? Avaient-ils recouvré leur liberté ou bien étaient-ils... ?

Le bruit d'une serrure déverrouillée finit par m'arracher aux pensées macabres et j'enfilai rapidement mon tee-shirt avant de bondir sur mes jambes, encore pleine d'espoir. La vue des fers qui m'étaient destinés dans les mains calleuses du garde me serra la gorge mais je ne protestai pas. On m'emmena avec la même rudesse que la veille dans la salle d'interrogatoire, où m'attendaient sur leurs chaises la Main Noire et le capitaine Vive-Lame.

Reska se pencha en avant avec une expression railleuse.

— Toujours en forme, à ce que je vois ! Et ce regard, ah ! T'a-t-on déjà dit que tes yeux étaient pareils à une nuit sans étoile ?

Je pris soin de garder mon opinion au sujet de cette flatterie importune. Un coup d'œil égaré me permit néanmoins de remarquer le haussement de sourcil désapprobateur de son partenaire.

La Désillusion | Tome 1Kde žijí příběhy. Začni objevovat