35 - Les voix du passé

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              Blotti contre le torse de Crool, le garçon faune respirait péniblement.

— On l'a trouvé dans la forêt, évanoui au pied d'un arbre, expliqua Émïoka. Je crois qu'il avait dans l'idée de dépouiller un nid d'oiseau ou quelque chose dans ce genre.

— Salut, bonhomme, dis-je en m'approchant.

Je posai une main sur le front du garçon. Il avait de la température, sans surprise. Crool le posa à terre pour un rapide examen. L'enfant était vêtu de hardes nauséabondes, souillées de sueur et de sang. Ce fut en retroussant la manche de sa tunique que nous comprîmes la cause de son mal : une plaie suppurée.

— Dis donc, tu as une vilaine blessure, avançai-je en prenant garde à ne pas montrer mon inquiétude. Comment est-ce arrivé ?

— C'est... C'est ma faute. Ils... m'ont mis en garde, balbutia-t-il d'une voix faible et gémissante, j'avais pas assez à manger l'autre fois.

L'expression sombre de Seth me permit de comprendre : les Rafleurs. Une bouffée de colère me saisit devant tant d'injustice mais, en attendant, le pauvre garçon était rongé par l'infection.

— Où habites-tu, petit ? le questionna notre capitaine. On va t'aider mais il vaut mieux qu'on te ramène chez toi.

— Non, je... j'ai pas de...

— Rassure-toi. Nous ne demandons rien en retour, précisai-je gentiment.

Une lueur effrayée se lut dans les yeux entrouverts du petit faune, puis il observa mon visage, celui de Seth et de tous nos compagnons soucieux de son état, et ses muscles parurent se détendre.

— La... première maison du village, répondit-il. À côté de l'arbre mort.

Seth hocha la tête et souleva l'enfant dans ses bras avec beaucoup de précautions. Une fois mon sac récupéré, j'eus la surprise de trouver Reska muni d'une lanterne pour éclairer notre chemin. Nous partîmes tous les trois. Sous la lune pleine, le village paraissait encore plus fantomatique. Je toquai à la porte de la chaumière qui répondait à la description, sans toutefois obtenir de réponse.

— Entr...ez. Grand-maman, elle... peut pas se lever.

Haussant les épaules, Reska n'eut pas l'ombre d'un scrupule. Il abaissa la poignée et la maison délivra une odeur prégnante de crasse et de moisi. Aucune chandelle ne brûlait à l'intérieur. A travers une fenêtre aux carreaux troubles, les rayons de la lune tombaient sur un paquet de linge sale abandonné dans un coin de la pièce comme une botte de foin. Ma gorge se serra en constatant que cet enfant devait subvenir à ses besoins par lui-même. Pendant que Seth l'allongeait sur la première paillasse trouvée, je sortis un morceau de savon et un peu d'eau afin de nettoyer la blessure.

Bercé par la douceur de mes gestes, le petit s'endormit rapidement.

— N'y a-t-il aucun moyen d'arranger la situation ? demandai-je d'une voix blanche.

— C'est une des premières choses dont j'ai parlé à Malve quand j'ai été promu capitaine, expliqua Seth en balayant la pièce d'un regard lugubre. Le précédent gouverneur préférait se goinfrer entre les murs de Méridie plutôt que prendre en main les problèmes qu'affrontait le Sud. Tous ses rapports étaient trafiqués et à Cérule, ils n'y ont vu que du feu. Pendant des années. Malve est entrée dans une colère noire quand elle l'a appris... Elle a aussitôt diligenté une enquête et mis une personne plus compétente au pouvoir. Reconstruire prend du temps. Ce temps viendra, je l'espère...

La Désillusion | Tome 1Onde histórias criam vida. Descubra agora