Chapitre 10

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Alex arrive enfin, malheureusement pour moi ce n'était pas le premier. J'ai dévisagé toutes les personnes qui passaient la porte pour m'assurer que je ne le louperais pas. Je scrute, j'analyse, je fixe comme une psychopathe. J'en oublie même de regarder où se trouve Christine. Quand je le vois traverser l'encolure de la porte, c'est la délivrance. Toute cette soirée n'a pas été pour rien. Je me lève précipitamment et perds l'espace de quelques secondes l'équilibre. Je me rattrape comme je peux et me mords la joue pour ne pas rigoler. J'essuie de la poussière invisible sur mes fesses et me dirige vers lui.

Pendant ma marche, je prends le temps de le détailler. Il est habillé comme un premier de la classe mais pourtant il fait partie des gens populaires. Je ne sais pas comment il a réussi cet exploit mais tout le monde l'adore. Ses cheveux blonds sont travaillés, des petites mèches bouclées retombent de manière délicate sur son front. Sa tenue montre son rang dans la classe. Un grand manteau beige qui semble trop large pour lui, il doit suivre la mode oversize, camoufle le reste de sa tenue. Ce n'est que lorsqu'il l'enlève que je dois m'empêcher de baver et que je remarque le reste. Il porte une chemise blanche avec par-dessous un col roulé marron. Sa chemise semble aussi trop grande pour lui, il l'a rentré dans son jean et souligné avec une ceinture marron. Il ne me remarque pas tout de suite mais je suis certaine que mon air déterminé qui ne correspond pas du tout à l'ambiance générale va me permettre d'avoir un projecteur sur moi.

- Bonsoir Alex !

Sans m'adresser un regard, il me tend son sac. Son attention se dirige vers la pièce proche des escaliers. Cet endroit est une cuisine aménagée, on y retrouve toutes les boissons et les collations. Cela a été nettoyé et préparé pour nous offrir les meilleures conditions, tout a été disposé de manière intelligente. Les softs sont regroupés, les alcools forts aussi. Il n'y a pas de boissons ouvertes, tout est scellé, les apéritifs sont disposés dans des saladiers de différentes couleurs. Le sac est lourd et manque de tomber. Je le récupère tant bien que mal et continue ma phrase.

- Tu vas bien ? Est-ce que tu aurais quelques minutes à m'accorder s'il-te-plaît ?

Johan et le reste des personnes commencent à se regrouper autour de lui. Un brouhaha se répand, je deviens au fur et à mesure transparente. On lui pose des questions, lui demande des nouvelles, ses projets... C'est comme si on ne l'avait pas vu depuis des semaines. Des verres se tendent devant lui, il en prend un. Vu l'odeur et l'aspect, cela doit être de la bière. Alex commence à s'éloigner de moi et je vois déjà la perte de temps qui m'attend. Un mur se dresse, les personnes me dépassent, me bousculent juste pour l'apercevoir et tenter d'avoir son attention quelques secondes. La superstar est arrivée et la nouvelle est déjà répandue. Je dois réagir maintenant, instinctivement, je commence à jouer des coudes et à me glisser dans la foule pour retrouver mon professeur personnel.

Dès qu'il est à portée de main, je lui attrape le poignet et le dirige vers mon endroit réservé. J'entends des protestations et des moqueries.

- Oooooo la petite Mathy prend les devants !

- Attention Alex à ne pas finir encore plus intello !

- Les chambres sont à l'étage !

- Il te faudra plus que la bière pour te convaincre de passer la nuit avec serious girl.

Alex ne réagit pas et me suit docilement. Je ne regarde pas son visage et baisse la tête, tout en fixant mon objectif. Ce n'est que lorsque l'on atteint mon coussin, qu'il retire violemment son poignet de ma main. Il s'essuie le poignet comme si j'avais laissé une trace et me regarde avec dégoût. Je n'avais jamais vu un tel regard, enfin il ne m'avait jamais été destiné, la plupart du temps c'est moi qui le lance face à une assiette cuisinée par Steph. Il regarde brièvement autour de lui et semble s'assurer que personne ne peut nous entendre. Sa voix se fait sèche.

- Pourquoi m'as-tu entraîné ici, qu'est-ce que tu veux ?

Je ne l'ai jamais vu comme ça, il semble différent de tout ce que j'avais pu observer au cours des différentes années.

- Euh... Bonjour Alex... Je suis désolée de mes méthodes mais je n'arrivais pas à attirer ton attention et je voulais te demander quelque chose d'important...

- Tu ne veux pas accélérer ? Tu as mon attention maintenant.

- Oui, je viens aux faits.

Il m'intimide, je me sens nulle et toute petite. Les mots se mélangent, j'ai l'impression que le minimum d'intelligence qui est nécessaire pour être un humain vient de partir de mon corps.

- Alors, je... Tu vois tu es le meilleur de la classe, enfin tu le sais déjà et j'espérais en venant à cette fête, que tu vois... Tu m'expliques quelques notions, on m'a dit que ça ne te dérangerait pas. Du coup, j'ai passé mon après-midi à faire un PowerPoint pour réunir mes questions et te faire perdre le moins de temps possible. Regarde, j'ai amené mon ordinateur. Tout est prêt, si je peux l'enregistrer ce serait le top !

- C'est barbant, ce que tu dis là !

- Je... Je ne comprends pas, pourquoi tu me parles comme ça ? Je n'ai pas eu la bonne méthode, c'est juste que vu que j'ai beaucoup de frères, j'ai l'habitude de forcer un peu pour obtenir l'attention. On recommence, ok ?

Je fais mine de reculer et je baragouine des mots incompréhensibles pour simuler un retour en arrière. Mais qu'est-ce que je fais ? J'ai l'air d'une idiote...

- Non.

Il passe à mes côtés, me frôle et continue sa route. Je reprends son poignet et lui intime de se stopper.

- Pardon ? Tu connais le travail et le temps que ça m'a pris ? Tu ne vas même pas jeter un coup d'œil ? Regarde tout ce travail !

Je lui tends mon ordinateur et lui fait une avance rapide sur toutes les diapositives.

- Non si tu m'avais demandé, je t'aurais directement dit que je refusais de t'aider.

- Mais tu aides tout le monde ! Pourquoi pas moi ?

- Même si j'aide tout le monde, il ne risque pas d'atteindre mon niveau. Ce n'est pas en apprenant une formule à un idiot qu'il deviendra savant.

Je le regarde dans l'incompréhension, qui est donc la personne qui se trouve devant moi ?

- Mais tu n'es jamais dans la compétition, tu es toujours celui qui se lève pour aider et tu expliques calmement. Pourquoi d'un seul coup, tu deviens aussi méchant ?

- Tu ne m'as jamais demandé de l'aide, c'est pour ça que je n'ai jamais pu te la refuser. Ta moyenne est beaucoup trop proche de la mienne et quand j'entends ta voix, je n'entends que le S...

- Le S ?

Je ne peux m'empêcher de le regarder avec incompréhension. Mais qu'est-ce qu'il me raconte ? Il a fumé un truc avant de venir ? Ce n'était peut-être pas son premier verre ?

- Sélection...

Ce mot me donne des frissons et me replonge dans mes souvenirs des premières années. La concurrence est tellement forte en médecine, surtout lors des premiers semestres. L'entraide et la bienveillance ne sont clairement pas présentes au quotidien, mes fiches ne pouvaient pas rester sans surveillance, ni même mon ordinateur, au risque de ne plus jamais les revoir. Durant tous les cours, dès que le maître de conférence prononçait un mot avec un S tout l'amphithéâtre reprenait à l'instar du serpent le S et disait en sifflant sélection. Cet esprit de compétition ne m'a jamais convenu, je n'aime pas me méfier de tout le monde. Je me concentre sur mon travail, mon avenir, rendre ma famille fière et c'est tout. Le reste m'importe peu. Cependant, avec le temps qui passe, la sélection naturelle avec les abandons, les classements éliminatoires et les notes non-suffisantes pour les passages en année supérieure.

Je m'attendais à tout sauf à ça. Je ne suis pas du même acabit qu'Alex, c'est l'excellence même et il est si accessible avec les autres. Je le vois s'éloigner et remettre son masque d'élève parfait et populaire. Je l'entends rassurer les personnes, il me jette un dernier regard hautain et repart dans sa discussion comme si nous n'avions pas eu la moindre altercation.

Haunting MatTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon