Ombres féroces - partie 2 (VERSION 2)

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Le soir venu, nous fûmes les derniers à quitter l'aire des vouivres. Les progrès d'Erich étaient minces, mais je ne m'inquiétai pas. La guerre n'était pas pour demain et nous n'avions rien de mieux à faire à Rodürz que d'entraîner le jeune homme. Nous profitâmes d'ailleurs de ce calme inhabituel pour admirer le coucher de soleil du haut du plateau des vouivres, avant de suivre les sentiers rocheux et ponts suspendus vers le Darakan. Bien qu'habitué à ce spectacle que je contemplais depuis des décennies, je ne nous pressai pas et profitai de cette douce accalmie en compagnie d'Erich. Je regrettai simplement que l'instant ne fût pas plus long quand nous gagnâmes la salle commune du Darakan pour nous offrir un dîner bien chaud.

Contrairement à la ville, les soldats à bord n'étaient pas dupes. Ils savaient que les deux nouveaux visages, qui s'attablaient dans un recoin de la pièce, ne pouvaient être que les Dorsükiens fraîchement envoyés par Aimeric de Roux. Ils ignoraient en revanche pourquoi nous dînions librement, vêtus tels des natifs de la région. Mais l'un d'eux ne tarda guère à nous accoster.

Les épaules larges et de haute taille, il appartenait sans aucun doute au corps de garde spécialisé dans le combat rapproché. Il joua d'ailleurs de son physique de guerrier pour intimider Erich. Les mains en appui sur le bord de notre table, il se pencha légèrement en avant et nargua le jeune homme de toute sa hauteur.

— Tu viens de Dorsük malgré ta gueule ! cracha-t-il sans détour. Pourquoi manges-tu ici ? Les autres prisonniers sont cantonnés à leur chambre. Ce qui est déjà un grand luxe offert par maître Ahédan alors que vous osez envahir nos terres !

— Certes, je suis dorsükien, mais je suis aussi un allié, trancha Erich avec calme.

Le jeune homme à la peau basanée serra les poings.

— Un traître quoi !

S'il existait un mot qui arrivait encore à ébranler le sang-froid du jeune homme, c'était malheureusement celui-ci. Je me crispai, inquiet, alors qu'il relevait vers l'Askazien un regard assassin.

— Jamais je ne serai un traître ! grogna-t-il en se levant.

Son agresseur se redressa, perturbé de découvrir que malgré sa stature de guerrier, Erich l'égalait sans forcer.

— Comment oses-tu m'insulter sans savoir ce qui m'a amené ici ?

Malgré son hostilité soudaine, doublée d'une carrure de bretteur, l'Askazien ne se démonta pas.

— Tu as trahi la confiance des tiens, grogna-t-il en serrant davantage les poings à s'en blanchir les articulations. Qu'est-ce qui nous dit que tu ne feras pas marche arrière ? Ou même que tu prétends être des nôtres pour mieux rapporter nos points faibles à tes maîtres ?

Colère, Erich agrippa le col de l'Askazien. Ses compagnons se levèrent de table et injurièrent le jeune homme. La situation tournait au vinaigre. Je me levai à mon tour et tentai d'apaiser l'affaire.

— Je suis originaire d'Askaz, soufflai-je en plaquant ma main contre mon torse. Erich m'a accueilli sous son toit alors que je me suis retrouvé seul suite à une attaque de bandits. C'est un homme de principes à qui vous pouvez faire confiance !

— Parce que tu crois que je vais écouter les sornettes d'un gamin élevé par l'ennemi ? cracha l'Askazien qui serra ses doigts autour des poignets d'Erich. Lâche-moi si tu ne veux pas qu'on te roue de coups, le Dorsükien !

— Tu as trop peur de te battre seul, mauviette ? siffla Erich d'un regard provocateur.

Il n'en fallait pas plus pour souffler le peu de contrôle dont faisaient preuve les Askaziens. Ils rugirent, prêts à l'assaut... mais l'agitation avait attiré l'attention de leur maître qui grondait déjà du bout de la salle.

Prince et Dragon - Tome 1 : Ixen [EDITE sélection neovel]Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt