Chapitre 1

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Jilian sursauta quand une porte claqua. Il avait la sensation de ne pas avoir entendu un seul son depuis des semaines. 

Le silence était roi au sein de la prison intermédiaire RB-136.

Quelqu'un venait pour lui et son angoisse monta en flèche. Assis sur sa chaise depuis plusieurs minutes, il se rongeait les ongles, les mains liées par des menottes électroniques, et ses cuisses tressautaient d'angoisse et d'impatience. Il respira bruyamment et de manière irrégulière, pris d'assaut par des projections cauchemardesques derrière ses yeux ouverts.

Quelqu'un venait pour lui annoncer sa sentence.

RB-136 demeurait excentrée d'Änsy, capitale de l'île d'Orëmané. Depuis son enfermement, personne n'était venu le voir. Les visiteurs ne supportaient pas l'endroit car il était construit pour annihiler le son : chaque mur de béton renvoyait une froideur oppressante semblable à celle d'un abattoir. Ici, le temps s'arrêtait, et pour Jilian, il ne restait que le tumulte de ses pensées ; une cacophonie dans ce silence asphyxiant.

Il entendit l'ouverture électronique d'une porte et des pas empressés marteler le sol. Le son se propagea le long des corridors sinueux, cognant contre les murs qui cherchaient à l'absorber.

Il jeta un coup d'œil nerveux au gardien immobile qui se tenait debout à ses côtés. La majeure partie de son visage était cachée par un masque pour qu'aucun signe distinctif ne permette de le reconnaître. Tous les employés de la prison étaient des sans-visage, des figures sans émotions. La porte s'ouvrit sur un homme d'âge mûr, au visage nu, surmonté d'une paire de lunettes à montures brunes et d'une tignasse éparse grisonnante et mal entretenue. La courbe de ses sourcils et la forme de son nez rendaient son visage rond et banal. L'homme le salua à peine, sans le moindre intérêt, et le gardien referma la porte.

La gorge de Jilian était nouée. Il se sentait craintif à l'idée d'avoir à parler, cela faisait longtemps qu'il n'avait pas prononcé un mot. Un soupir échappa à son interlocuteur. Le cinquantenaire déposa de manière impatiente sa veste froissée sur un coin de la table et tira de sa sacoche un support électronique. Il consulta le dossier et sans même le regarder, proclama :

— Je suis Paolo Nongh, avocat d'office désigné par la cour pour vous défendre, monsieur...

Il plissa les yeux :

— Jilian Ewä Anderson.

Il leva un sourcil et lui offrit un premier regard ennuyé.

— Un double nom ? Les enfants nés de l'immigration n'en choisisse qu'un, vous savez ? La tendance est au retour du nom originel et non plus aux noms d'adoption.

Jilian ne s'attendait pas à ce que l'entretien démarre de cette manière. Il resta quelques secondes sans rien dire avant d'oser prendre la parole.

— Ma... famille y tenait...

— Quelle drôle d'idée.

L'homme tapota sur l'écran pour ajouter un élément au formulaire qu'il avait sous les yeux.

—Vous avez vingt ans.

Nongh lui offrit un regard condescendant qui le fit se sentir mal.

Ces derniers jours, livré à sa culpabilité, Jilian avait remis en question toute la personne qu'il était. Après vingt années à se sentir enthousiaste de tout, il était à présent l'ombre de lui-même. Ses traits étaient marqués par la fatigue, le chagrin et l'angoisse, accentués par le choc de son enfermement et l'impossibilité de contrôler son avenir. Sa peau hâlée s'était teintée de plaques blanchâtres tandis que son corps continuait d'être marqué par de multiples frissons.

Le Manoir - Tome 1Where stories live. Discover now